Le film m’a rappelé la BD « Ces jours qui disparaissent » qui présentait elle aussi un personnage dissocié, dont les deux personnalités radicalement différentes (l’un étant artiste rêveur, l’autre businessman pragmatique) devaient également alterner leur temps de présence sur terre, jusqu’à ce que l’homme d’affaires ne prenne de plus en plus le pas sur le saltimbanque. Je trouve pertinent de comparer les deux récits car, là où « Ces jours qui disparaissent » est une réussite sur le plan émotionnel et allégorique, The Substance lui échoue lamentablement sur les deux tableaux.


Soyons honnêtes, le postulat est complètement con. Elizabeth n’a aucune raison de se créer une meilleure version d’elle-même, puisque c’est son double qui récolte tous les lauriers de cette nouvelle jeunesse, se condamnant à n’être qu’une spectatrice passive et occasionnelle d’un succès qui n’est en aucun cas le sien. Ce n’est même pas comme si elle vivait cette renaissance par procuration, étant donné qu’elle ne cesse de jalouser son alter ego sans jamais se réjouir pour elle. On en vient donc à se demander pourquoi l’idée de tout arrêter ne germe que si tardivement dans son esprit. Comme si la célébrité d’une autre, avec qui elle ne partage même pas le prénom, pouvait sérieusement importer plus que sa propre existence. Quelle que soit l’interprétation que l’on peut en faire, cela rend le récit incohérent et ses personnages au mieux débiles, au pire furieusement antipathiques.


Il aurait été plus logique qu’Elizabeth se rende rapidement compte de son erreur, que celle-ci soit irréparable et que cette ubuesque situation la pousse à vivre une nouvelle vie de retraitée, loin des paillettes du show business, dans laquelle elle pourrait rencontrer quelqu’un, développer de nouvelles passions, continuer d’animer des émissions plus confidentielles où son âge ne serait pas un problème… Bref, une vie plus épanouissante pour elle, que Sue déciderait égoïstement de compromettre en lui volant du temps pour sa carrière personnelle, avec toutes les conséquences que l’on peut voir dans le film. Ce choix narratif ne change quasiment rien au scénario, mais il aurait le mérite de donner de la valeur à l’existence d’Elizabeth. Car, si sa vie a de la valeur, il est plus facile de s’y attacher, et si nous nous y attachons, alors sa décrépitude devient un enjeu qui nous implique émotionnellement dans le récit, comme ce fut le cas avec « Ces jours qui disparaissent ».


Mais Coralie Fargeat n’en a visiblement rien à foutre de raconter une histoire cohérente qui se suffise à elle-même. Son scénario ne peut être apprécier qu’en tant qu’allégorie du star-système et de ses injonctions répétées sur la gente féminine, obligée de se conformer aux fantasmes de vieux mâles blancs libidineux pour faire carrière, soit : Être sexy, avoir de belles formes, les mettre en valeur et surtout, RESTER JEUNE ; ce qui pousse malheureusement la plupart de ces femmes en retraite anticipée dès le début de la quarantaine.


L’intention est louable mais, passé le constat d’une situation que plus personne ne remet en cause, et qui plus est représentée de manière outrageusement caricaturale, qu’est ce que Coralie Fargeat a à nous dire sur le sujet ? Rien de nouveau sous le soleil en tout cas. La cinéaste retombe sur les rails maintes fois empruntés de la ravissante femme qui, dans sa quête perpétuelle de perfection, finie par devenir le monstre hideux quelle redoutait d’être. Histoire ô combien éculée que j’aurais peut-être plus apprécié sans ce concept de dédoublement qui ne sert à rien et créer plus de problèmes qu’autre chose.


Alors on peut au moins reconnaître à The Substance une forte personnalité et je comprends parfaitement qu’on puisse saluer l’audace formelle d’un film de genre indépendant, féministe, réalisé par une française et auréolé d’un prix à Cannes. Évidemment, c’est un film qu’on a tous envie d’aimer. Mais pour moi, son succès est purement conjoncturel. On l’apprécie pour ce qu’il représente sur le moment, dans le contexte de sa sortie, mais pas pour ce qu’il est intrinsèquement. En soit, il n’a pas vraiment grand-chose pour lui.


On sera peut-être sensible à la performance de Demi Moore, totalement habitée par le personnage et dont le jeu embrasse à merveille l’exubérance du film. Certains seront peut-être amusés par le traitement volontairement caricatural des personnages masculins, même si je les trouve personnellement plus agaçants qu’autre chose. Et d’autres enfin vanteront les mérites d’une mise en scène jusqu’au-boutiste et ultra référencée, alors que j’y trouve exactement les mêmes défauts que dans Titane de Julia Ducourneau. Fargeat a un talent certain, mais entre le couloir de Shining, le monstre à la Cronenberg, les plans à la Lynch, la musique de Vertigo, les spectateurs ensanglantés façon Carrie au Bal du Diable… Tant de références mal digérées, plaquées ça et là pour le style, plus que pour donner du sens à son œuvre.

Alfred Tordu

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