Elle en pire
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Avant toute chose, je tiens à dire que je ne nie absolument pas qu’il s’agit d’un film intéressant. J’ai simplement passé deux heures parmi les plus longues de ma vie dans une salle de ciné. Que dire à part ça ?
Qu’on va commencer par enfoncer des portes ouvertes : Substance, comme son nom l’indique, c’est d’abord un film sur le corps, et plus précisément sur la haine du corps. D’emblée on nous annonce la couleur : ça va être un film qui tâche, un truc où l’on est au contact du vrai monde, celui qui frotte. On a donc droit au traditionnel gros plan à courte focale sur les visages, des crevettes en veux-tu en voilà, tout un travail sur le son qui est franchement réussi dans sa volonté d’être oppressant. Surtout, évidemment, on a le rapport à un corps vieillissant. Qu’est ce qu’un vieux corps sinon une altérité qu’on trimballe immédiatement avec nous ? Là où le jeune corps – celui qui fonctionne bien et vite – se fait oublier parce qu’il fluidifie le rapport avec le réel au point qu’on oublie qu’il y a un intermédiaire, le vieux corps se rappelle sans cesse à nous, parce qu’il fonctionne moins bien, parce qu’il est une pesanteur qui ne nous lâche pas. Et pourtant, un corps qui vieillit, c’est un corps qui ne jamais que son travail : nous faire évoluer dans le monde et s’user avec lui, comme toute chose ici-bas. Reprocher à son corps de vieillir c’est indécent parce que c’est lui reprocher exactement ce pour quoi il est fait : nous ancrer dans un réel où le temps passe. Pourtant, le personnage de Sparkle formule ce reproche, encore et encore, ou plutôt les autres font ce reproche à son corps, encore et encore. Elle vit enferrée à ce souvenir, piégée parce ce qu’elle a été. On nous le dit, on nous le montre : ça a été une grande actrice, elle a eu un oscar, des récompenses. Mais finalement, on ne retient d’elle qu’un corps désormais disparu. J’imagine qu’il est dur d’être quand l’on a été très beau. Je conçois surtout qu’on trimballe tous un drame avec nous : la mort et la déchéance physique qui la précède quand tout se passe bien. On en revient finalement au mot génial de Rostand, « c’est l’innocent forfait de la nature que d’avoir composé les êtres avec la substance des choses ».
Substance, c’est ensuite, évidemment, parce qu’on va ne pas laisser les portes ouvertes tranquilles, un film sur la haine de soi. Inutile de trop s’attarder sur ce point, on nous le dit et Sparkle nous le répète en boucle. Elle se déteste, elle se fuit via son double rajeuni, et même quand c’est sa semaine elle est incapable de s’aimer et s’autodétruit à base de cuisine française. Sue, de son côté, déteste Sparkle et n’a pas dû lire le portrait de Dorian Gray. Quand on fait payer ses vices à quelqu’un, qu’on le fait vieillir à notre place, mieux vaut qu’il soit au grenier et inanimé. Le passage où Sparkle fait la cuisine en matant Sue la démonter à la télé est franchement marrant, et par ailleurs un des rares passages un peu légers du film.
Substance, c’est enfin un film sur la haine des autres, ou plutôt sur l’incapacité d’être aimé par les autres. Là aussi le film ne fait pas dans la dentelle, notamment avec l’ultime personnage qui est un clin d’œil à s’en faire péter la pupille à Elephant man. Parmi les autres références on peut citer Carrie au bal du diable, ce qui ne paraît pas complétement déconnant pour les ptits problèmes de rapports aux autres, et plusieurs autres à Kubrick (le couloir de Shining, la musique de 2001, le couloir de sang de Shining) que, j’avoue, j’ai moins bien comprise.
Qu’est-ce que nous dit Substance finalement ? Qu’il est dur de s’aimer et d’être aimé dans cette société, en particulier quand on est une femme. La scène finale est à ce titre particulièrement révélatrice : le seul moment où Sparkle atteint une forme d’ataraxie c’est finalement une fois débarrassée de son corps, plongée dans les souvenirs d’une jeunesse où elle s’aimait encore, et ou les autres en faisaient de même. Une morale peut-être ? Commencez par laisser votre corps tranquille, sinon vous finirez par vous manger vous-même (comme nous dit le ptit vieux/infirmier dans la cafète). Tâchez de vous aimez vous-même ensuite, toujours plus facile à dire qu'à faire, évidemment, mais c’est vraiment se foutre des bâtons dans les roues sinon. Enfin, si vous êtes parvenu jusqu’ici vous pourrez prétendre à la forme d’amour la plus élevée qui soit : celle d’autrui. Somme toute, Substance c’est un film d’amour. Et à ce titre, c’est sans aucun doute la comédie romantique la plus gore que j’ai jamais regardée.
Créée
le 8 nov. 2024
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