Elle en pire
Elisabeth Sparkle (Demi Moore) ne fait plus rêver. Son corps se fissure un peu plus chaque jour sur Hollywood Boulevard. Une étoile sur le Walk of Fame qui ressemble désormais aux scènes fanées d'un...
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le 10 oct. 2024
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Attention, spoilers ahead, spoilers everywhere. Go? Go.
Vous voulez du gore ? Hein ? Dites, vous voulez du gore, des corps, plein, plein de corps et de l'esthétique qu'on tord à mort ?
Vous avez toujours rêvé de voir Margaret Qualley sous toutes les coutures et vous êtes, en plus, en mal de sensations fortes ? Vous voulez serrer les dents, frissonner de dégoût, pousser des petits cris d'horreur et détourner le regard devant du (way) too much ? Ne bougez pas, j'ai exactement ce qu'il vous faut.
Commençons par du positif : The Substance est un bon divertissement qui, bien que d'une durée de 2 heures 20, ne donne pas l'impression de s'étirer en longueur pour rien (parole de spectateur qui adore s'endormir au cinéma).
Les partis pris artistiques sont assumés, les effets sonores et visuels travaillés comme il faut, la réalisation est soigneusement enveloppée dans un drap de kitsch dégoulinant qu'on accepte car pertinent, la musique mériterait d'exister davantage, d'être plus mémorable et dérangeante, mais elle est bien là quand il faut et apporte ce petit pep's bienvenu.
Le casting sait et fait très bien ce qu'il a à faire, le scénario marche et la promesse d'un film ghorreur féministe (terme déposé par mes soins) est tenue et respectée.
OK. Mais alors, qu'est-ce qui pêche ? Eh bah, plein de choses et c'est bien ça, le problème.
Le choix de ne pas expliquer comment a été inventée la fameuse substance est tout à fait acceptable. Après tout, on n'est pas obligé de tout illustrer, c'est très bien comme ça.
Par contre, ne pas expliquer les motivations des personnes derrière cette invention est un faux pas à mes yeux.
Pourquoi cette substance est-elle gratuite ? A qui profite-t-elle ? Pourquoi est-elle livrée sans que le bénéficiaire n'ait à donner aucune information sur sa personne ? Pourquoi n'y a-t-il pas un suivi, une ou des personnes qui se soucieraient de savoir comment les événements se déroulent ?
D'accord, on n'est pas dans un épisode de "Cash Investigation", mais mettre un petit savant fou ou une entreprise qui représenterait vaguement Hollywood aux manettes de l'entreprise en toile de fond n'aurait pas alourdi le scénario et ça aurait été mieux que de se contenter de ce pâle service après-vente téléphonique qui n'apporte absolument rien à l'intrigue.
Ensuite, le plus gros point noir selon moi, et c'est dommage car c'est sur ce concept que repose absolument toute l'intrigue, c'est qu'Elisabeth Sparkle (Demi Moore) et Sue (Margaret Qualley) ne partagent pas la même conscience. Et ça, ça, c'est incompréhensible.
Le personnage d'Elisabeth se trouve au pied du mur. Elle doit faire face à sa jeunesse fanée, à son travail et à sa gloire perdus ainsi qu'à sa beauté qu'elle a la sensation de voir s'échapper au loin.
Ce qui aurait fait le sel de la découverte de la substance aurait été qu'à travers Sue, qui représente tout ce dont Elisabeth ne jouit plus, elle puisse comme remonter le temps physiquement à l'aide de ce nouveau corps, profiter de sa vie d'avant, plonger dans l'excès, prendre sa revanche sur tous ceux qui l'ont mise de côté et avoir l'impression d'embrasser le bonheur jusqu'à déchanter.
Arrêtez-moi si je me trompe, mais le scénario aurait pu prendre la même direction de façon bien plus sensée.
Ce qui cloche ici, c'est que Sue et Elisabeth sont deux personnes totalement différentes.
Quand Elisabeth "dort", elle ne sait rien de ce que fait Sue et inversement. Alors quel est l'intérêt y trouve Elisabeth ?
Pour Sue, la substance est une porte ouverte vers le succès et une vie de rêve, OK.
Mais pour Elisabeth, cette solution miracle n'est rien de plus qu'un somnifère surpuissant qui fait effet pendant 7 jours.
Quand elle se réveille de son coma, sa vie n'est pas plus belle, elle n'est accompagnée d'aucun souvenir positif et n'a que des (très gros) désagréments.
Elles ne partagent rien si ce n'est une espérance de vie et aucune des deux ne sait quoi que ce soit de l'autre. Elisabeth ne peut avoir d'empathie pour Sue et Sue n'a aucune idée de ce que traverse Elisabeth.
Il aurait été beaucoup plus intéressant que Sue soit véritablement la version jeune d'Elisabeth et qu'il se crée une sorte de relation mère-fille ou grande et petite sœur entre elles pour que la jalousie qui s'installe soit plus pernicieuse, dérangeante, vicieuse et malsaine.
Si toutes les deux avaient une conscience commune, les enjeux seraient d'un tout autre niveau.
Sue souhaiterait garder égoïstement le contrôle alors qu'elle aurait connaissance de la détresse d'Élisabeth. Là, on tient quelque chose.
Elisabeth subirait les excès de Sue mais persisterait à prendre le "remède" car ce serait son seul biais pour se sentir vivante et moins seule alors même qu'elle se réveillerait à chaque fois dans un état calamiteux.
On deviendrait voyeurs d'une situation des plus complexes et passionnantes.
Une conscience commune aurait permis de prendre plusieurs trajectoires assez fascinantes, sombres, tordues.
Créer un vrai lien entre ces deux femmes que tout oppose nous aurait assuré un savoureux combat de haut vol sans rien perdre du postulat féministe brandi en étendard par Coralie Fargeat, de la critique acerbe qui est faite de la société et des paillettes ou du culte de la beauté et du jeunisme ici dépeint.
Passons au troisième hic.
La question qui me revenait sans cesse en tête à mesure que le film progressait, c'était : pourquoi Elisabeth refuse d'arrêter l'expérience ?
Si vous avez la réponse, je suis preneur parce que je ne vois pas en quoi cette substance lui a permis de se sentir mieux et/ou moins seule.
Même question pour l'infirmier qui lui recommande la substance.
Il lui dit qu'elle ferait une bonne candidate mais selon quels critères, étant donné qu'aucune information n'est requise pour tenter l'expérience ?
En quoi la substance a-t-elle "changé sa vie" vu que, je me répète mais c'est important, le double ne partage pas de conscience commune avec la matrice ?
De fait, comment peut-on recommander la substance si on n'a pas conscience de ce que fait et vit son double ?
Pourquoi ne pas au moins avoir émis l'idée que la substance était hautement addictive pour expliquer le fait qu'on y retourne sans cesse ? Il aurait simplement fallu que le corps endormi pendant 7 jours soit dans le même état d'euphorie qu'une personne droguée pour qu'on avale cette pilule (celle du plot hole) plus volontiers.
Quatrièmement : le thème de la folie est effleuré dans le film mais on ne peut pas en faire grand-chose justement parce que le destin de ces deux personnages n'est pas assez lié, même si on veut nous faire croire le contraire grâce en nous rabâchant qu'elles ne font qu'un.
Elles ne partagent donc pas de conscience commune, pourtant, la première chose que Sue fait, c'est de passer le casting pour l'émission de télé d'Élisabeth. Pourquoi ? Pourquoi nous replacer dans cet univers ? Pourquoi ne pas viser plus haut et surtout ailleurs directement ?
Pour finir, comment se fait-il qu'Elisabeth, alors qu'elle commence à vieillir, soit quasiment incapable de se mouvoir alors que lorsqu'elle devient monstrueuse après avoir été inconsciente pendant 3 mois puisse échapper à Sue, courir dans les couloirs, survivre à un coup de pied qui la projette à travers tout le salon et à des coups répétés contre le miroir ?
De même, comment est-elle seulement en mesure de déplacer son portrait gigantesque alors qu'elle n'arrivait pas à se lever de son canapé quand elle était (un peu) moins vieille ? Ca aussi, ça n'a aucun sens.
Voilà tout ce qui m'a dérangé dans The Substance.
C'est donc un bon divertissement, mais il faut ne pas être trop regardant et le consommer pour ce qu'il est : un bel objet gore et horrifique, dénonciateur et féministe, imparfait et bancal, mais plein d'ambition et fort.
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Créée
le 11 nov. 2024
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