Il faut toujours s'en tenir à la posologie

Tous les ans on a un nouveau film choc à Cannes et l'Histoire nous a montré que globalement il n'y a pas de quoi s'affoler non plus. Seulement, Coralie Fargeat, contrairement à un Sans filtre ou un Titane, à décidé de déplacer le curseur beaucoup plus loin pour The Substance et tant mieux. Je choisis de ne pas mettre de balises spoilers car j'estime que je ne divulgâche rien, mais je vais parler de certaines scènes sans pour autant évoquer directement l'intrigue car je ne vois pas comment je pourrais contourner cela tant le film est dense.


La réalisatrice est complètement consciente de l'impact de ses différents choix artistiques, je vous invite à regarder des interviews : elle sait ce qu'elle fait avec ce film. Ainsi, ce n'est jamais subtil, c'est voulu et d'ailleurs l'outrance peut aller jusqu'à nous montrer la même chose de 4 manières différentes en très peu de temps, pour bien surligner l'intention. Si c'est très amusant de la voir jouer avec les plans très serrés sur la matière ou des parties du corps, sur le montage rapide et sur des sons amplifiés à l'excès ou tordus (elle joue sur la hauteur du son notamment), ce qui m'a aussi fait plaisir ce sont les moments un peu moins "criards". L'air de rien on a pas mal de petits exemples : le producteur ne se lave pas les mains après être allé aux toilettes ou bien les caméras qui se braquent sur Sue sont pile au dessous de la ceinture des cameramen. Mais il y a aussi le fait qu'Elisabeth n'est pas du tout dans le besoin matériellement car elle a accès à tout ce qu'elle veut quand elle le veut dans un appartement vide mais immense. D'ailleurs la réalisatrice a construit ce petit monde d'Hollywood comme ça : les espaces sont souvent très grands et propres, le seul truc un peu confiné c'est l'entrée du point de retrait pour récupérer la substance. De la même manière, quand la réalisatrice filme avec énormément de complaisance les seins augmentés, les fesses ou que l'angle de caméra vise un peu l'entrejambe du personnage de Sue lorsqu'elle est en tournage, ce n'est pas juste pour satisfaire un certain regard masculin. Je trouve qu'elle fait ça jusqu'à l’écœurement, jusqu'à ce que tout ce qu'on voit à l'écran ne soit plus qu'un bout de viande parfaitement lisse et je trouve ça malin.


Le concept de la substance promet aussi des moments palpitants mais la réalisatrice instaure très vite des règles qu'elle va devoir détourner. Pas uniquement pour faire avancer l'intrigue mais pour nuire à son personnage en bonne et due forme. J'ai trouvé que par moments c'était un peu facile malheureusement. Je comprends l'idée qu'on est face à une fable et que les ellipses permettent de se tirer d'un pétrin grâce à des ellipses bien choisies par exemple. On questionne aussi la "réalité" de ce qu'on voit à ces moments-là : quand il y a un couac sur le plateau de tournage pour Sue, est-ce que c'est réel ? Quelles conséquences ça a réellement ? Ça à la limite je peux l'accepter, c'est une question de suspension consentie de l'incrédulité du spectateur, mais je me suis malheureusement questionné plus tard à ce sujet et j'y reviendrai.


Puisque la fameuse règle qui indique bien qu'avec la substance, la matrice et l'autre personne ne font qu'un vient selon moi casser le propos du film. Fargeat l'a expliqué en interview, elle voulait projeter la violence quotidienne sur le corps des femmes en la rendant très extrême à l'écran. Ça se comprend et on peut le dire : c'est bien fait dans le film. Le souci que j'ai avec ça c'est que sur le principe je comprends que le personnage principal abuse de la substance parce qu'elle a envie de "plus", qu'elle devient accro. Mais dans les faits, dans le film, Elisabeth n'a aucun intérêt à prolonger l'expérience après la première semaine. Parce qu'on a beau rappeler que les personnages ne font qu'un, c'est elle qui souffre des excès de sa meilleure version d'elle-même. Elle n'en profite jamais, ses semaines à elles se passent très mal et elle se déteste encore plus qu'avant. Elle n'a plus aucune confiance en elle en plus de ça. Je mentionnais plus haut l'exemple du couac sur le plateau pour Sue, elle s'en tire toujours. Parce qu'elle est jeune et "belle" ? Sans doute, c'est le message du film, mais je trouve ça gratuit et cruel de ne pas respecter la règle fixée juste pour infliger toujours plus de douleur au personnage de Demi Moore. Elle veut tellement abuser qu'elle mérite ce qui lui arrive en un sens, mais l'air de rien ceux qui l'ont poussé à cette condition s'en sortent très bien. Elle n'a même pas droit à une vraie vengeance, un coup de pied dans la fourmilière qui a des conséquences sur ces gens affreux.


On peut maltraiter ses personnages, il y a des réalisateurs connus pour leur sadisme d'ailleurs de ce côté-là. Ici ce qui m'embête davantage c'est que c'est un film qui a un message mais ne cherchera pas à remettre en question les vrais responsables du problème social traité. Ça m'a gêné d'entendre des rires dans la salle à certains moments, de comprendre qu'effectivement Fargeat avait tellement poussé le grotesque qu'on avait des situations drôles à l'écran, mais c'est tellement... Méchant.


Quand au cinéma on se retrouve face à un film ambiguë, en général on est satisfait de cette expérience car ça montre qu'il a été conçu de façon intelligente, nuancée, et bien d'autres adjectifs positifs qu'on pourrait utiliser ici. Or cette fois on peut percevoir un propos vraiment nauséabond, en accord avec le système en place et ça m'a gêné, très honnêtement. Au moins le film ne divise pas pour rien, il peut être considéré comme très amusant et la mise en scène est fondamentalement réjouissante avec des équipes techniques qui ont fait un travail formidable. Respect à Coralie Fargeat pour ça, mais j'aurais aimé être dérangé autrement que de cette façon-là.

GuillaumeL666
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le 22 nov. 2024

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Guillaume L.

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