J'entends souvent une critique à propos de The Substance de Coralie Fargeat qui me laisse pour le moins perplexe et auquel j'aimerais répondre modestement. On a en effet reproché à la réalisatrice de ne pas s'être départie du fameux "male-gaze" (le regard masculin qui, au cinéma, objectifie et sexualise les femmes) et, au final, de n'avoir fait que reproduire ce qu'à peu près tous les films - qu'ils s'agissent de grosses productions cinématographiques ou de "films d'auteur" (coucou Le Mépris de Godard) - font : "objectifier" les femmes ou, pour parler plus crûment, filmer des boules et des seins en gros plans.

Sauf que, moi, quand j'entends ça, j'ai l'impression de pas avoir (tout à fait) vu le même film. Certes, il faut réinventer la façon de filmer les femmes au cinéma et ça implique, parfois, de changer les codes de mise en scène, de filmer plus directement, sans détour, sans artifice des corps féminins. Néanmoins, la réinvention, ça peut aussi vouloir dire le détournement : et c'est, en mon sens, ce que fait Coralie Fargeat avec ce long-métrage.


Coincée dans le male-gaze

Toutes les séquences avec Sue, l'alter-ego rajeunie d'Elizabeth, interprétée par Margaret Qualley (une des très NOMBREUSES "étoiles montantes" du cinéma révélées dans Once Upon in Hollywood de Tarantino, entre une Mickey Madison et un Austin Butler), sont filmées comme ces pubs dont on a du mal à savoir ce qu'elles nous vendent à part une sorte de porno aseptisé (je recommande à ce titre "Pépites sexistes" qui dénichent sur les réseaux sociaux ces perles pas rares du tout).

Bref, Sue est belle, elle est sexy et elle le sait, elle vit dans le regard des hommes, dans ce fameux "male-gaze". J'en veux pour preuve, entre autres, cette séquence très rigolote où son voisin frappe à sa porte pour se plaindre du bruit qu'elle fait et que, en guise de réponse, Sue lui offre son regard le plus glamour, voire carrément lubrique et faussement innocent ("une fille si belle et pure... Les gens vont adorer !", dit le producteur campé par Dennis Quaid)


Un film clair

Vous l'aurez compris - et c'est ce qui fait la force de The Substance - le parti-pris est limpide et consiste simplement à décrire un personnage féminin, Elizabeth, qui a été conditionné par une société profondément sexiste et capitaliste, pour laquelle le corps de la femme n'est jamais qu'une marchandise consommable, périssable et jetable.

Y voir une bête et méchante reproduction des stéréotypes cinématographiques du male-gaze, c'est ignorer toutes les séquences horrifiques de body-horror où en lieu et place de ce booty ferme et rebondi digne d'une pub (au hasard pour des yaourts), on a un corps difforme, rachitique, monstrueux, où un sein pousse au milieu de la figure pour mieux détourner les commentaires sexistes de la scène du casting de début de film ("si elle pouvait avoir un troisième sein sur le visage à la place de ce nez...").

Bref, le film est clair, percutant, direct, on pourrait même lui reprocher un manque de subtilité (ce serait inepte, mais on pourrait).


Manque un aspect plus "politique" ?

Ceci étant dit, l'honnêteté intellectuelle me pousse à vous partager cette critique dont j'ai croisé la route sur le très bon site "Le Genre et L'Ecran" : https://www.genre-ecran.net/?the-substance-2024#:~:text=Le%20film%20s'appuie%20sur,question%20des%20corps%20f%C3%A9minins%20vieillissants.

On peut y lire, peu ou prou, les mêmes reproches avec lesquels je ne suis pas d'accord et, aussi, que le film manquerait d'un "female-gaze". Et un point est assez intéressant : il manquerait au film un développement sur les violences sexistes et sexuelles dont sont victimes les femmes lorsqu'elles sont objectifiées. Là, je comprends. En fait, j'étais presque surpris que le personnage de Dennis Quaid (ce gros trumpiste dont la présence dans le film laisse pantois), ne serve pas à dénoncer cela, tant il coche les cases d'une sorte de Harvey Weinstein survitanimé, et je m'attendais à une séquence de violence impliquant ce personnage et Sue.

Ici, la critique a du sens et peut-être que le film loupe quelque chose... Mais c'est oublier, à mon avis, deux choses : premièrement, l'aspect "body-horror" qui, même s'il n'a peut-être pas touché les habitués du genre, sert le propos impactant du film. La présence du film à Cannes a offert à The Substance une médiatisation assez rares pour un film de ce genre, surtout en France et, honnêtement, le grand public a eu l'occasion (assez rare) de voir un film qui détourne des codes qu'il ne connaît que trop bien dans une formule cinématographique qu'il méconnaît et qui ne manque pas de marquer les esprits.

Deuxièmement, le long-métrage est profondément intimiste : c'est dans le regard que l'héroïne porte sur elle-même que se situe l'enjeu de The Substance, dans la haine qu'elle se voue à elle-même et qui, pour le coup, peut (peut-être ?) parler aux spectatrices.

Bref, ce débat est intéressant mais cette question du male-gaze passe à côté de la proposition impactante et on ne peut plus claire du film.

Créée

le 1 déc. 2024

Critique lue 8 fois

Critique lue 8 fois

D'autres avis sur The Substance

The Substance
Rolex53
9

Elle en pire

Elisabeth Sparkle (Demi Moore) ne fait plus rêver. Son corps se fissure un peu plus chaque jour sur Hollywood Boulevard. Une étoile sur le Walk of Fame qui ressemble désormais aux scènes fanées d'un...

le 10 oct. 2024

152 j'aime

8

The Substance
Sergent_Pepper
6

Substance (without subtext)

Idée maline que d’avoir sélectionné The Substance en compétition à Cannes : on ne pouvait rêver plus bel écrin pour ce film, écrit et réalisé pour l’impact qui aura sur les spectateurs, et la manière...

le 6 nov. 2024

87 j'aime

6

The Substance
Behind_the_Mask
3

Le voeu de la vieille

The Substance vient tristement confirmer qu'entre Coralie Fargeat et le masqué, ce ne sera jamais une grande histoire d'amour.Car il a retrouvé dans son nouveau film toutes les tares affectant son...

le 8 nov. 2024

62 j'aime

14

Du même critique

Le Vent se lève
Pierre-Yves_Georges
9

Le biopic d'un rêveur... (Spoilers.)

Le vent se lève est un film particulier, d'abord parce qu'il clôt la carrière d'Hayao Miyazaki, ensuite parce que sur le fond comme sur la forme, ce film n'est pas dans la droite lignée des films du...

le 4 juin 2015

4 j'aime

4

Birdman
Pierre-Yves_Georges
8

Le masque qui colle à la peau

L'histoire d'un rôle qui tue une carrière, d'un masque qui cache un visage... Voilà en gros le topo de Birdman d'Alejandro González Inárritu, et qui est l'acteur ? Je vous le donne en mille, Michael...

le 25 févr. 2015

3 j'aime

L'Amour ouf
Pierre-Yves_Georges
5

François Civil, loubard convaincant mais dans le XVIe

En une phrase, L'Amour ouf, "c'est un film de prouveur" (je cite ma copine qui, je pense, a à peu près tout dit). 2h40 de film sur une histoire d'amour entre deux adolescents, une séquence de comédie...

le 9 nov. 2024

1 j'aime

2