Une star en fin de course tombe sur une substance qui lui fait, une semaine sur deux, Ă©changer son corps avec celui de Margareth Qualley đ. On ne sait pas trĂšs bien sâil sâagit ou non de deux individus diffĂ©rents parce que les deux entrent tĂŽt dans des rapports antagoniques. La jeune veut garder son corps plus quâune semaine et pompe lâĂ©nergie vitale de la vieille. La vieille jalouse la beautĂ© Ă©crasante de Qualley đ et lui en veut de drainer ce qui lui reste de vitalitĂ©, et se venge en dĂ©guelassant lâappart (dans une scĂšne incr ou elle cuisine en regardant la jeune Ă la tĂ©lĂ©). LâĂ©cart sâouvre de plus en plus jusquâĂ ce que la vieille se transforme en monstre abominable etc.
Le film est lourd. Aucune subtilitĂ© des signes, aucune ambiguitĂ© du sens. Les plans sont caricaturaux, symĂ©triques, sur-signifiants (la plaque Ă son nom sur le sol dâhollywood reste au milieu du plan quand passent les intepĂ©ries, les discussions et les dĂ©chets / le couloir du studio avec ses portraits / lâaffiche et le tableau face Ă face / la salle de bain aux carrelages uniformes et immaculĂ©s). Les oppositions : jeunesse/vieillesse, ombre (piĂšce cachĂ©e)/lumiĂšre (salle de bain ou studio), beautĂ©/horreur. Y a rien qui dĂ©passe ou se nivelle. Pareil pour le son. Les bruits sont presque tous exagĂ©rĂ©s, la musique permanente. Le scĂ©nario trĂšs prĂ©visible et attendu : lâintro habituel ou le personnage a un problĂšme mais hĂ©site un peu avant dâaccepter lâaccord faustien, la montĂ©e en puissance, la descente aux enfers. La voix au tĂ©lĂ©phone rĂ©pĂšte 100000 fois que les dommages sont irrĂ©versibles. Parfois ça devient tellement lourd quâon sait pas si on doit rire avec ou du film. Voila pour la description.
Il faut sâaccorder sur le fait que tout ce que je viens de dĂ©crire est intentionnel. Câest pas un gage de qualitĂ©. Dâabord on peut ĂȘtre lourdement lourd, pas subtilement pas subtile (en camouflant mal un second regard ou une rĂ©flexivitĂ© satyrique). On peut faire intentionnellement quelque chose de mauvais. Le film est pas subtile, mais il faut se a) demander sâil parvient effectivement Ă faire ce quâil veut, et b) si câĂ©tait une bonne idĂ©e.
Si ça marche, je trouve, câest que le film ne veut rien dire et ne parle de rien. Il ne fait pas semblant de penser. Pas de signification sous les signes, de message sous le sens, de critique sociale, de portrait, de rĂ©flexion sur le narcissisme, le culte de la jeunesse, les media, les mĂ©chants producteurs, la drogue etc. Le manque de subtilitĂ© ne sert pas Ă vĂ©hiculer maladroitement des idĂ©es mais Ă montrer ou Ă faire sentir les choses de maniĂšre efficace. Devant sa baie vitrĂ©e, en face dâune photo de la vieille, il y a une gigantesque affiche de Margareth Qualleyđ qui la regarde. Bien sĂ»r il ne sâagit pas de reprĂ©senter la dissociation de son identitĂ©, de signifier quâelle se sent Ă©crasĂ©e par la jeunesse de lâautre, au cas ou on lâaurait pas compris. Câest une prĂ©sence rĂ©ellement, objectivement Ă©crasante quâon ne peut Ă©viter en traversant son salon (dâoĂč la super scĂšne oĂč elle peut pas le dĂ©passer, et retourne chaque fois regarder ses rides dans le miroir). Pareil pour les bruitages, la techno, les couleurs et les symĂ©tries. On se prend un violent paquet de sensation sursignifiantes dans la gueule, on en sort un peu sonnĂ©. La scĂšne au dĂ©but du mĂ©chant producteur qui mange bruyamment des crevettes en sâen mettant partout alors quâil la vire est vue et revue. Mais si jâaccepte de laisser de cĂŽtĂ© mon snobisme, elle me met vraiment dans le mal.
Bref jâai un peu la flemme de continuer en fait donc je conclus. Tout est clair, violent, dĂ©bile. La meuf prend une substance qui la fait sortir de sa propre cage thoracique, câest horrible dâen arriver lĂ pour twerker sur un remix trĂšs trĂšs cringe de I like to move it move it. Y a un dĂ©calage je trouve entre les plans ou elle est juste nue et belle dans sa salle de bain (oĂč la superficialitĂ© a quelque chose de pur et qui arrive bien a nous faire doomer sur la dĂ©gĂ©nerescence programmĂ©e de notre corps), et les scĂšnes oĂč elle tire profit de sa transformation, ou elle twerk pour une pub, fait la fĂȘte, baise avec des mecs dĂ©biles, mais dâune maniĂšre vrm ridicule. Deux superficialitĂ©s. Câest trĂšs drĂŽle ducoup. Tout ça pour ça. Ils auraient pu faire lâinverse. Montrer la mĂȘme chose mais sans le ridiculiser. Là ça aurait Ă©tĂ© beaucoup moins bien. Câest dâailleurs le seul point oĂč le film se fait un peu moins lourd. Rien ne signifie expressement que ce quâelle fait est cringe. Câest cringe. Donc lâidĂ©e nâest pas de dĂ©livrer un message du type « derriĂšre les paillettes la mort » mais de rire voire de se moquer : un pur plaisir de se marrer devant quelque chose de cruel. On ne nous dit pas « la sociĂ©tĂ© va mal », mais vivre câest abominable lol. Rien de plus marrant.
Ducoup devant le film je me prends Ă ressentir et Ă penser (pas Ă rĂ©flechir) des choses tout Ă fait contradictoires sans pour autant quâelles perdent en intensitĂ© : je simp en voyant Qualleyđ nue et nitide dans sa salle de bain, jâangoisse de voir son corps de cinquentenaire (pourtant remarquable vu son Ăąge, ce qui est plus horrible encore), je suis horrifiĂ© par les abominations biologiques, les tortures, ce qui rend encore plus drĂŽlĂ© la nullitĂ© de ce quâelle peut faire maintenant quâelle est redevenue jeune. Aucun discours, aucun personnage, aucun suspense. Tout opĂšre en mĂȘme temps et sans se contredire sur un plan entiĂšrement superficiel, mais de plus en plus intense et condensĂ© jusquâau cataclysme final (qui est abominable, drĂŽle, angoissant). La cataracte de sang qui gicle sur les fesses des danseuses. Y a que le cinĂ©ma qui peut faire ça. CâĂ©tait cool.