À la vision de The Survivalist, la vérité éclate soudainement : The Walking Dead est une histoire romancée dont la survie des personnages ne tient qu'à la bienveillance de celui qui en écrit l'histoire.
Le premier film de l'Irlandais Stephen Fingleton est une contre-fiction, un essai cinématographique comme une simulation grandeur nature de l'art de la survie, la vraie, dans un monde apocalyptique totalement abandonné au chaos.
Le Survivaliste en question n'a pas de nom. Pourquoi avoir un nom lorsque l'on est seul ? Il est une marque de reconnaissance sociale et devient donc obsolète dans le contexte de ce monde-là. Fingleton veut livrer une oeuvre crue, directe et réaliste. Que ce soit par manque de moyens (le film aura coûté 1 million de livres) ou dans une réflexion esthétique cohérente, la mise en scène de The Survivalist est minimale, que ce soit dans les dialogues, dans la réalisation épurée d'artifices ou dans l'utilisation du son brut, en mono, au plus près des acteurs. Si près qu'on les entend respirer bruyamment tout au long du film.
Cette manière d'utiliser le son est peut-être ce qu'il y a de plus frappant dans le film. Le monde vidé de sa civilisation humaine n'est pas un monde de silence. Les oiseaux chantent, les gamelles s'entrechoquent, la rivière envahit le champ sonore et les humains respirent : ils sont vivants. Tout est vivant. Ou plus précisément : tout continue de vivre, avec ou sans nous. Pour autant, The Survivalist n'est pas un film contemplatif. Il est au plus près de ses personnages, la caméra ne les lâche pas, elle les observe dans leurs relations devenues extra-morales.


C'est ici l'une des caractéristiques les plus importantes du film. Il remet en question nos propres attachements moraux au sujet de la sexualité, de nos pulsions, de nos buts et de notre pragmatisme face à la mort. Le film oblige le spectateur à sortir de sa zone de confort et de ses idéologies pour l'immerger dans un univers où tout cela n'a plus le même sens.


The Survivalist ne manque pas non plus d'ironie et renvoie directement à notre propre condition actuelle : si demain les civilisations humaines s'écroulaient et nous obligeaient à retourner à une forme de vie minimale, combien d'entre nous survivraient ? Nous, habitués au confort et à la chasse aux barquettes de supermarchés. C'est là l'énorme fossé entre la fiction des œuvres survivalistes romancées, dans lesquelles les survivants font la chasse à la boite de conserve et aux médicaments, et la réalité crue du Survivaliste du film : pendant que les uns s'affairent à la survie au jour le jour sur un même modèle consumériste, les autres cultivent la seule vraie richesse salvatrice : les plantes.
Lorsque les deux femmes proposent des bijoux en échange de plantes, le Survivaliste refuse. Rien n'est plus précieux qu'une graine.
L'absence d'animaux sauvages, potentiellement source primordiale de nourriture, se justifie par la chasse systématique opérée dans notre propre société : si demain ce scénario venait à se produire, nous serions bien en peine de trouver des sources de protéines animales dans nos forêts régulièrement ravagées de leurs habitants. L'animal reste cependant présent par l'intermédiaire du lapin. Choix judicieux puisqu'il est l'image-même de l'animal survivaliste, celui qui aura résisté aux grands froids et aux catastrophes, devenant un spécialiste du repeuplement.


The Survivalist interroge justement sur cette notion de repeuplement, notamment lors de cette scène d'avortement glaçante de réalisme, offrant par la même occasion l'une des quelques scènes oniriques du film par la juxtaposition d'images... d'un lapin. Stephen Fingleton sépare alors l'Homme de l'animal. Si la régression technologique force à un retour à une vie plus primaire, nous n'en restons pas moins des êtres pensants et conscients. Revenir en arrière ne veut pas dire ne pas se projeter. Chaque geste du Survivaliste est calculé en fonction de ses besoins et de ses capacités, à l'opposé d'un autre personnage masculin, violent et entièrement soumis à ses désirs. Le Survivaliste, lui, pense aux saisons, à ses plantes, à son hygiène.


Par l'absence de budget, le film semble avoir été tourné durant le printemps bien qu'il conte une histoire traversant plusieurs saisons. Mais ici, pas d'automne ni d'hiver. On regrettera cette dissonance entre le récit et la réalisation qui crée au fil du film un désynchronisme dérangeant. Les personnages évoluent mais semblent bloqués dans une bulle d'intemporalité. On quitte alors le monde de la réalité pour une œuvre sans repères. Peut-être était-ce voulu mais cela prête tout de même au doute.


Le fil narratif est simpliste et n'est qu'une excuse pour mettre en opposition différents points de vue de ce qu'est le survivalisme. Seuls les 3 personnages principaux semblent avoir saisi ce qu'il signifie, tous les autres faisant davantage figure de bêtes nomades sans discipline. Et finalement, ces trois personnes qui passent à première vue pour des hommes-bêtes, se révèlent les plus humains de tous par leur intelligence raisonnée, parfaite balance entre raison et pulsion. En d'autres termes, des animaux qui portent la survie au rang de science.


La fin du film, métaphore de l'évolution darwiniste, est ouverte et déplace le centre vers la femme. L'homme, lui, a rempli son rôle. Mammifère apeuré qui survit en se cachant, il ne sortira pas de sa bulle végétale, mais transmettra la graine de son savoir à la nouvelle civilisation naissante dans une sorte de remise à zéro de l'humanité. Là où d'autres errent sur La Route sans fin, le Survivaliste bâtit.

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le 6 mars 2016

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Fortynine Days

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