On pourrait dire que The Sweet East est un film A24 qui n’en est pas un. Dès les premières minutes, le film déconcerte, surprend et hypnotise par l’intensité de son côté foutraque.
Il s’agit du premier long métrage de Sean Price Williams, chef opérateur américain très en vogue (il a à ce jour réalisé l’image de plus de 110 films depuis le début des années 2000, dont certains de réalisateurs de premier ordre à l’image du Good Time des frères Safdie). Le journal Le New Yorker a ainsi qualifié Sean Price Williams de " directeur de la photographie des meilleurs et des plus importants films indépendants de la dernière décennie". Rien que ça.
Et qui dit film de chef op’ dit proposition visuelle hors du commun.
C’est évidemment le cas avec The Sweet East : tourné en pellicule 16mm, reconnaissable à ce grain si particulier, le film se veut un pastiche de l’image caméscope crado des années 70. Un hommage en quelque sorte aux films VHS (le réalisateur Sean Price Williams et le scénariste Nicholas Pinkerton ont d’ailleurs tous deux travaillés dans un vidéo-club newyorkais), et cela fait bien plaisir !
Cette image « à l’arrache », couplé à un montage particulièrement cut’ et désordonné, donne au film un cachet tout à fait particulier, un côté film arti Sundance. C’est d’ailleurs l’une des principales qualités du film. Sans aller jusqu’à parler de cinéma expérimental, The Sweet East est un film à voir, ce serait-ce que pour la proposition visuelle hybride qu’il met en avant. Le long métrage s’essaye en effet à plusieurs expérimentations et mêle les registres – du drame, du thriller, de la comédie voire de l’horreur –, passant d’une chanson façon comédie musicale à un brin d’animation au moment où le personnage principal regarde à travers des jumelles.
The Sweet East est un grand voyage initiatique. Le film raconte la fugue de Lillian, jeune lycéenne en voyage scolaire, qui prend le large au grés des rencontres fortuites. Passant d’un groupe de punks aux néo-nazis tatoués, c’est à travers ses rencontres que le film livre une satire de l’Amérique d’aujourd’hui. Il faut dire que l’insouciance de la jeune fille captive, crée une tension certaine tout au long du long métrage, et préoccupe ou nous désole en tant que spectateur. A moins que ce ne soit pas de l’insouciance mais une certaine malice malsaine…
Qu’on l’aime ou qu’on la déteste (et on passe de l’un à l’autre tout au long du film), le personnage de Lillian ne laisse pas indifférent. Il faut en effet saluer l’interprétation lumineuse de la jeune actrice de 22 ans Talia Ryder, qu’on a notamment aperçue dans Never Rarely Sometimes Always en 2020, ou plus récemment dans le magnifique West Side Story de tonton Spielberg.
Tout est fait pour qu’on tombe amoureux de l’actrice, éblouissante et fascinatrice. Elle est jolie, elle le sait et elle en joue, ce qui lui donne également un aspect insupportable et antipathique. Quoi qu’il en soit, on a hâte de la retrouver au cinéma prochainement.
The Sweet East est en quelque sorte un récit d’émancipation insolite, salué aussi bien au dernier festival de Cannes où il était présenté à la Quinzaine des Cinéastes qu’au festival de Deauville, où il a notamment obtenu le Prix du Jury. Le film est malheureusement sorti de manière assez confidentielle (29 copies, ce qui est extrêmement peu), mais reste l’une des belles curiosités de ce début d’année !