Évoquant au premier abord l’esthétique granuleuse du cinéma hippie des années 70, notamment Taking Off de Miloš Forman, The Sweet East se révèle être fondamentalement antinomique à cette mouvance dans sa manière d’illustrer la Liberté. En voulant s’intégrer dans un contexte de départ réaliste, le film utilise la fuite vers l’imaginaire comme moyen d’émancipation pour son personnage principal.
Incarnée avec talent par Talia Ryder, Lillian semble en dehors des codes sociétaux, par sa transparence et son côté quasi-apolitique, elle devient le reflet de ses rencontres, qui sont, elles, très politisées, devenant des porte-étendards des différents partis américains : des communistes aux suprématistes blancs.
Le réalisateur part d’un personnage proche du réel et se sert de son Art pour la magnifier tel un personnage de conte, en valorisant chacune de ses apparitions par le cadre. Finalement, en étant à l’écart du monde américain moderne, elle préserve son innocence et son côté « unique » en ne rejoignant réellement aucun groupe. Elle apprend des autres mais se construit par elle-même.
Lillian atteint le monde imaginaire en raison d’un décalage social qui amène sa solitude. Lors d’une scène de chant devant un miroir où ses regards caméras deviennent appel à destination d‘un monde inconnu. Ce moment révèle une transformation. Le miroir, rappelant le célèbre roman de Lewis Caroll, projette l’image de Lillian comme si elle avait déjà franchi le seuil et accepté l’idée de se laisser aller. Mais alors que sa chanson est brusquement interrompue par des coups de feu, elle réalise que son moment de vérité est arrivé, et que son grand saut doit être immédiat.
Le fantastique s’intègre subtilement à la réalité, suggérant qu’elle doit plutôt utiliser notre monde que le quitter de façon abrupte pour évoluer. Cette approche minimaliste se manifeste à travers des jeux de lumière et des moments de surprise. Les phénomènes s’invitent sans pour autant créer un univers imaginaire distinct.
On ne sait jamais réellement où se positionner par rapport à ce que l’on voit. Dès les premières minutes du film, un groupe Punk monte des vidéos de manière désharmonieuse sur vidéoprojecteur, cette scène annonce clairement que la forme sera déconstruite, soulignant ainsi l’importance du regard du spectateur en tant que partie intégrante du récit. Le réalisateur créant des situations parfois délicates, telle cette amitié que Lillian noue avec l’homme néo-nazi.
Il est indéniablement difficile de ne pas établir de parallèles entre le personnage et l’actrice Lillian Gish. Outre le partage du même prénom, elles sont toutes deux confrontées à des suprématistes blancs, Gish au KKK dans Naissance d’une nation de Griffith. Ce parallèle met en lumière la continuité des problèmes auxquels sont confrontés les États-Unis modernes, symbolisé par l’omniprésence du drapeau, représenté comme une marque au cœur de l’œuvre.
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