C'est un peu abasourdi que l'on ressort de la projection de "The Sweet East", voyage baroque au cœur d'un pays fracturé, récit initiatique à la frontière du documentaire et du conte désenchanté.
Mais avant tout, Sean Price Williams nous offre pour son premier film, une composition inattendue, un éphémère récit de l'instant, dans lequel on glisse avec délice, nous érige en témoin des pérégrinations de Lillian, jeune lycéenne qui, suite à un concours de circonstances, va s'égarer sur les sentiers de l'Amérique profonde et croiser la route des oubliés du rêve américain. Ceux que l'on ne voit pas habituellement, que l'on aimerait ignorer, mais qui sont également les américains d'aujourd'hui : des marginaux à tendance punko-babacool, un groupe de suprémacistes blancs dont un professeur qui l'hébergera, des cinéastes indés bobos, des islamistes des moines..
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Cette immersion fait écho, dans sa dimension quasi sociologique, à de nombreux "efforts" cinématographiques plus ou moins récents, pour s'en démarquer rapidement par son ton fantaisiste, fantasmagorique même. Là où « Lillian » en 2019 *, et plus encore l'excellent "We blew it" de J.B Thoret, prenaient le parti d'une approche quasi ou totalement documentaire, The Sweet East s'en éloigne rapidement après un premier "segment" pourtant très marqué par les codes du genre (caméra portée, très proche des personnages des visages) et adapte avec intelligence sa réalisation à l'environnement abordé.
Le cadre sera plus bucolique, les plans plus larges lors du passage de Lilian chez le suprémaciste, les tenues et coiffures du personnage plus old-scool et romantiques également, l'image beaucoup plus éclairée et travaillée durant les séquences cinéma, plus sombre, presque brumeuse lors de son évasion vers le monastère, avec même des accents gothique lorsqu'elle apercevra la demeure des religieux.
Chacune des étapes du périple de la jeune fille accompagnera également ses changements de personnalité, se faisant tantôt douce, guerrière, femme enfant, ou femme fatale selon les nécessités de sa situation. Elle fera montre de grandes capacités d'adaptation, provoquant même des situations dramatiques ou sanglantes, lorsque transformée en femme déterminée elle rappellera la Lula de Lynch, mais une Lula qui n'aurait pas encore rencontré son Sailor.
Tous ces "univers" abordés, ces changements de tons, empruntant aussi bien à l'esthétique d'Alice aux pays des merveilles, qu'aux scènes gores de Kill Bill ou Django, n'amoindrissent pourtant pas la cohérence du métrage, qui nous porte au fil de l'eau et qui avant toute chose, se veut une ode à la féminité et une déclaration d'amour (cinématographique) d'un réalisateur à son actrice, Talia Ryder.
Cette dernière est prodigieuse dans un jeu tout en retenue, osant souvent les regards caméra, des moues irrésistibles, quand ses émotions sont exprimées par la geste, les expressions corporelles ou faciales, bien plus que par des mots devenus inutiles. Le choc de sa révélation devant la caméra, peut être assimilé, sans exagération, (bon peut-être un peu) à celui ressenti devant la découverte d'une Meryl Streep ou plus proche de nous d'une Wynona Ryder ou bien encore d'une Keira Knightley.
Au final, The Sweet East est une féerie éphémère, un songe qui ne peut-être s'éteindra rapidement, mais une merveille de l'instant, et c'est déjà beaucoup.
*Lillian est un film autrichien de 2019 qui suit les pas d'une jeune russe traversant l'Amérique "profonde"à pied pour rejoindre son pays et découvrant elle aussi, les « oubliés » du rêve américain
https://www.senscritique.com/film/lillian/39311049