« Toute ressemblance entre l'art américain et la nature américaine serait purement fortuite et relèverait de la coïncidence, mais c'est seulement parce que le pays dans son ensemble n'a pas de contact avec la réalité ».
On donnerait presque raison à ce bon vieux Ignatius chaque fois qu’on voit arriver un de ces nouveaux jeunes auteurs étasuniens qui nous refourguent, une fois de plus, leur « cinéma filmé », qui est branché non pas sur la réalité (pas assez « artistique » sans doute) mais sur la vision du cinéaste dont la lanterne créative nous éclairera, nous promet-on, l’Amérique contemporaine et ses enjeux politiques. L’onirisme narratif est à ce titre vachement pratique : le personnage principal traverse une suite d’aventures qui, compte tenu de leur génie, dispensent le film d’une structure un peu moins laborieuse, mais aussi de rigueur psychologique : dans les rêves en effet, point de personnages incarnés ou consistants, mais uniquement des effigies, des créatures mentales. Mais, me souffle-t-on, ces non-personnages ne font que figurer une réalité politique, elle, bien concrète : les « extrêmes » politiques, que la jeune étudiante rencontre avec la passivité et la perplexité de celle qui est bien loin de tout ça, comme en témoigne son très expressif jeu de sourcils. Oui, l’Amérique est bel et bien une nation polarisée. Un édito de CNN aurait peut-être pu le dire, mais sans doute moins artistiquement.
Au-delà de son contenu, cette fable se traduit surtout par une suite de péripéties et donc de scènes qui, affranchis de tout contact avec la réalité, peuvent s’offrir à nous dans toute leur singularité et leur originalité : gunfights, sac de billets, passages secrets, courses au fond de la forêt … voilà les poussées scénaristiques inédites qui nous font passer d’une séquence à une autre. Derrière la caméra, le savoir-faire du chef opérateur de Good Time est reconnaissable à cette caméra portée aux plans très courts et aux raccords dans l’axe brutaux. Mais là où chez les Safdie, ce style s’accorde parfaitement à leurs nouages narratifs qui mettent leurs personnages constamment au bord du précipice, il n’a ici aucun sens en l’absence d’enjeux dramaturgiques voulue par le scénario et donne surtout cette impression finalement assez juste de grande agitation pour rien. Ça tient plus, me semble-t-il, de l’automatisme formel impensé typique des films de chef op.
Ce film, qu’on aura tous oublié dans quelques semaines, pourrait néanmoins faire office de cas d’école pour deux raisons. Un, la pauvreté structurelle de « l’imaginaire » contre la réalité qui se traduit par un recyclage ad nauseam des mêmes motifs narratifs. Deux, l’absence de prise sur le réel du jeune cinéma indépendant américain qui est une tendance nette qui peut toutefois donner à l’occasion des films de qualité. A la lumière de ce constat, on le craint, Everything will happen, comme le dit le carton final du film : et en effet, je ne pensais pas un jour regretter Beau is afraid.
PS : point positif à noter, on y entend pendant quelques instants une reprise de la plus belle musique de film de tous les temps, celle d'il était une fois la révolution, un vrai film politique.