Si Lewis Carroll parle de passage de l'autre côté d'un miroir afin de découvrir un monde merveilleux et que Françoise Hardy chante "C'est le temps de l'amour, Le temps des copains, Et de l'aventure", l'un comme l'autre transcrivent parfaitement un certain état des films de jeunesse où les marques de solitude, du besoin de reconnaissance et de mélancolie sont les principaux moteurs d'un temps pour fuir une existence morose. De son côté - bien qu'il en reprenne de manière efficace certains éléments - The Sweat East pourrait se contenter de copier les codes narratifs du genre pour en faire un beau film, mais préfère prendre à contre-pied le spectateur en débutant son passage de l'autre côté du miroir (au sens premier du terme) dans les toilettes souterraines d'un bar de Washington servant d'immense réseau pédophile.
Si son décalage est amusant mais aussi troublant, il est surtout ce qui en fait sa principale force ;
Sean Price Williams s'amuse à jongler avec les genres, à constamment changer d'ambiance et d'esthétique afin que sa narration ne s'offre jamais véritablement au spectateur. Son 16mm brumeux accentue le contraste des couleurs, sa photographie irréelle convoque le conte de fées et chaque dialogue atteint une forme de jubilation épaulée par le regard perdu ou naïvement fasciné de sa protagoniste naviguant entre une bande de punks, un professeur d'université néo-nazi, des réalisateurs déclamant une note d'intention interminable durant un casting ou encore une fratrie islamiste fan de musique techno.
En passant très rapidement d'un endroit à un autre sans jamais laisser de moments suspendus, The Sweat East se construit alors sur une direction temporelle insaisissable. Tout s'entremêle et se superpose, la linéarité du récit laisse place à une forme de régression par le fait de tourner en rond et accompagne la progressive rupture d'une nation américaine post-Trump divisée entre ses communautés culturelles et politiques irréconciliables. En ce sens, son humour loufoque touche autant qu'il fait rire car ce dernier transforme son portrait d'adolescente insolente en symbole d'une jeunesse solitaire dont le sentiment d'abandon nécessite de redéfinir une individualité et une liberté. D'une certaine façon, cette interrogation constante du sens de ce voyage et le désespoir d'y trouver une morale laisse un sentiment aussi rebelle qu'amer dans son final par la conscience de son inachèvement, pour en contrepartie transcender sa proposition de road-movie décalé en peinture désenchantée d'un mal-être générationnel.