John Carpenter s'intéressa au confinement tout le long de sa carrière, ajoutant au huis clos une attaque imparable et destructrice : une ville prison dans New York 1997 contrôlée par sa population de criminels, phare et église pris d'assaut par des fantômes de pirates dans The Fog, ainsi que la défense d'un commissariat assiégé par les hommes d'un mafieux influent en guise de premier film à succès (Assaut), façon Rio Bravo d'Howard Hawks.


Avec The Thing, il atteint l'apogée de son sous-genre cinématographique phare : la menace, indescriptible et mutagène, s'invite dans cet avant-poste américain en Antarctique, traînant dans son sillage la promesse d'un cinéma de genre renouvelé, et l'arrivée d'une tension à toute épreuve. Une menace conditionnant le spectateur sur l'attention qu'on doit lui porter : camouflée sous les traits d'un magnifique chien loup, elle trompe les autres par l'émotionnel et la pitié.


On comprend dès le lancement que le parasite métamorphe est à la fois doté d'une intelligence maligne et d'une détermination à l’extinction de la vie sans concession possible : ne reste plus que l'appréhension de le voir en action sur cette bande de collègues déjà bien attachante. La réussite totale de leur cohésion tient autant de la faculté unique de Carpenter à développer ses personnages qu'à la personnalité entière de ses acteurs, allant de Kurt Russell et son style de hippie à T.K. Carter et ses yeux sans lueur.


Le réalisateur, dans l'idée de faire tout autre chose que l'original, présente son cadre en une demi-heure, puis plonge le spectateur dans une heure et quelques sans repos ni échappatoire : la tension, abominable, joue sur le sentiment de paranoïa unique de The Thing, consécration d'un cinéma arrivé à l'apogée de ses obsessions (visuelles ou thématiques), de ses techniques, astuces et de sa maîtrise inimitable.


L'enfermement forcé de L'antre de la folie, le désespoir face à la menace d'Assaut conduisant à l'ultime sacrifice, l'ennemi increvable d'Halloween et la mort qui vous emporte sans pouvoir rien y faire, comme dans The Fog : l'univers pessimiste de l'auteur s'y retrouve condensé en une union compacte et viscérale, sans aube envisageable ni conclusion heureuse. Il s'agit de se résigner en même temps que les personnages : ils y mourront tous, quoi qu'ils fassent et quoi qu'ils disent.


Cet aller sans retour a tout de ces vieux western sacrificiels dans lesquels le héros sacrifie soit sa vie soit sa réputation pour l'intérêt d'une personne ou du plus grand nombre : la réputation de John Wayne dans L'homme qui tua Liberty Valance, une vie de famille réunie dans La Prisonnière du désert qui ferme ses portes au monde. Dans cet ordre d'idée, Russell jouera le shériff, et Carter son adjoint forcé : s'ils ne s'apprécient pas, ils devront s'élever contre la menace jusqu'à cette conclusion désastreuse et inoubliable, où chacun prendra mesure du rôle qui leur incombe, et agiront en conséquence.


The Thing incarnant le sommet de la carrière de Carpenter, met surtout le plus en avant son nihilisme profond : il n'y a aucune perspective d'avenir envisageable en se retrouvant face à telle menace, incarnant possiblement le monde extérieur, ou le capitalisme moderne qui ronge les sangs du cher Big John. Aux rebus de la société, à ces marginaux de la popularité exilés en ermite pour suivre leurs recherches scientifiques, le parasite servira de métamorphose idéologique : Russell et son look années 70, entre le hippie et la rockstar fumeuse de weed (cette barbe!), sera le seul à ne pas se plier au conditionnement du grand ennemi de l'humanité selon l'auteur, le monde de la consommation et de la finance.


Au centre de ce combat, la vie de l'homme ne compte plus : il s'y sacrifie sans réfléchir, avec l'unique idée en tête d'annihiler toute trace de ce mal. Et le nihilisme revenu, la mort hors-cadre des deux protagonistes restant, trop fatigués de leurs trop grands efforts pour seulement penser continuer le combat. Dans la neige et les flammes de côté, l'humain s'avoue vaincu par la puissance de l'idéologie, en sachant pertinemment qu'elle s'éteindra en même temps que lui.


A la manière de l'original qui dénonçait le communisme dans un contexte de paranoïa de Maccarthysme, Carpenter prévoit ici le brûlant et retentissant Invasion Los Angeles : avec moins de virulence et plus de discrétion, il dénonce l'influence de la technologie en renvoyant les hommes aux siècles passés; acculés, rendus individualistes et soucieux de savoir qui des autres les trahira, ils agissent selon leur instinct, abandonnent toute considération amicale, professionnelle, sociale.


Cela dès que le docteur (personnage central de l'intrigue puisqu'il représente à la fois l'enlèvement et l'emprisonnement de L'antre de la folie, et le regard lucide sur les choses de Nada dans Invasion Los Angeles) décide de détruire tout ce qui les rattache au monde extérieur : à la destruction de l'ancien ordre des choses, plus traditionnel, plus humain (matériel de communication et de locomotion), la propagation du démon capitaliste au monde ne pourra plus se faire, si ce n'est par la construction d'un nouveau mode de déplacement, né des cendres des anciens, technologiquement supérieur : il représente l'avenir et ses dangers, et la promesse d'une propagation à grande échelle qui détruira l'humanité toute entière.


La seule manière de prévenir le monde était de tuer l'enfant dans son berceau : mais le chien loup, magnifique bête incarnant la splendeur de la nature (fantastique idée de dissimulation que de ramener une idéologie de modernisme à la forme rassurante d'un animal aimé, créant ainsi un faux rapport de corrélation entre nature et capitalisme), paraissait sans défense, aimable, superbe. Comment rejeter un être si mignon, inoffensif? Il en va de même avec les idéologies tentatrices : on ne peut que difficilement dire non à ce qui flatte notre égo, à ce qui favorise notre existence en tant qu'individu; Carpenter ne se sera pas gêné pour en révéler la vraie nature : le contrôle par le conditionnement de groupe, auquel toute volonté à été supprimée, sauf la principale : faire perdurer l'idéologie en convertissant toujours plus de possibles adeptes, et dénigrer la vie humaine au point de la détruire.


C'était sans compter la dynamite et le jusqu'au-boutisme des hommes.

Créée

le 18 juin 2015

Critique lue 700 fois

7 j'aime

FloBerne

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