Miaou to that!
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le 5 févr. 2015
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Péjorativement, on dira des esthètes qu’ils affectent le culte raffiné du beau formel, au détriment de toute autre valeur. Ou plus simplement qu’ils privilégient la forme au fond. Ce n’est pas le cas de Marjane Satrapi. Son nom ne vous dit rien ? Mais si ! Vous devez certainement bien connaître cette Iranienne francophone qui peut se vanter de cumuler bon nombre de cordes à son arc. Entre la bande dessinée – scénario et dessin –, le cinéma et la peinture en passant par la musique, difficile de lui attribuer une autre case que celle d’artiste polyvalente.
Révélée grâce à l’adaptation filmique de Persepolis, je l’ai, pour ma part, découverte sur le divin Poulet aux prunes, coréalisé avec Vincent Paronnaud. Ce long métrage a su apporter un peu de diversité dans ma culture cinématographique qui avait grandement besoin de sa poésie, de sa musicalité envoûtante. Marjane Satrapi arbore un style raffiné où l’image s’accorde avec le son. Son écriture est analogue à celle du conte, à la fois moderne et emprunte de classicisme. Ce qui libère une poésie baroque, bienvenue dans le septième art.
Après Persepolis, Poulet aux prunes et La Bande des Jotas (que je n’ai malheureusement pas vu), elle signe The Voices, une comédie à l’humour dérangeant. Critique.
Milton, États-Unis. Jerry Hickfang (Ryan Reynolds) mène une existence paisible au-dessus d’un bowling désaffecté avec son chien, Bosco, et son chat, M. Moustache. Employé dans une entreprise de baignoires prospère, il est convié à une petite fête organisée entre collègues. Lors des préparatifs, il fait la connaissance de Fiona (Gemma Arterton), délicieuse jeune femme aux lèvres pulpeuses et aux cheveux charbons, dont il tombe immédiatement amoureux. Mais, contrairement à lui, cette dernière ne vit pas une idylle, préférant décliner ses avances au profit d’amusements plus traditionnels tels que le karaoké, si cher à ses amies de toujours. Cette situation est propice à l’installation d’un fort contraste qui s’avère moteur d’une intrigue ahurissante.
En effet, derrière ses airs constamment ahuris et son attitude quasi-infantile (qui, soit dit en passant, inspirent une certaine sympathie), Jerry cache un lourd secret. Schizophrène paranoïaque depuis l’enfance, trait probablement hérité de sa mère, Jerry tue. Ou plutôt son double tue. En pleine rue, chez lui ou dans la forêt. Au couteau, la plupart du temps. Parfois sans même s’en rendre compte. Mais il tue. L’originalité étant que le commanditaire de tous les meurtres est son chat, M. Moustache, qui jure comme un charretier, s’opposant à la bonne conscience de Bosco, chien fidèle, pendant 1 h 43.
Régulièrement, Jerry a rendez-vous chez sa psychanalyste (Jacki Weaver), laquelle lui prescrit des comprimés censés stabiliser son état. Si par malheur Jerry refuse de les prendre, la réalité lui apparaît comme biaisée, dénaturée.
Par exemple, il ne voit pas ses collègues en bleu de travail mais en rose de travail, selon l’expression « voir la vie en rose » . De même, son appartement semble impeccablement rangé alors que des cœurs et autres viscères jonchent le sol et recouvrent les murs. Vous l’aurez compris, dans The Voices, tout n’est qu’opposition, contraste et apparences trompeuses. D’autant que durant les premières minutes, le spectateur ne se doute de rien.
Pour être honnête, je n’imaginais clairement pas Ryan Reynolds dans le rôle titre. Du moins jusqu’à ce que je visionne ce film. La profession n’a pas pour habitude de laisser s’exprimer son talent, l’associant notamment à de gigantesques navets tels que Green Lantern ou X-Men Origins : Wolverine. Mais force est de constater que sa prestation est ici assez rafraîchissante et tout à fait juste. Entre l’imbécile heureux et le tueur névrotique, il parvient à provoquer le rire autant que la peur. S’il est une raison d’aller voir The Voices, c’est bien celle de découvrir le Canadien sous un nouveau jour.
Au résumé du scénario, vient peut-être à l’esprit le terme de descente aux enfers. Le film traite effectivement la dégénérescence d’un homme perdu, tiraillé entre rêve et réalité. 2015 serait-elle l’année de l’Entre deux mondes ? Assurément. Mais The Voices c’est aussi la descente aux enfers du cinéma de Marjane Satrapi. Alors que l’Iranienne s’essaye au genre, celui-ci dévoile ses premières limites. Mais alors, le résultat est-il mauvais ? Non. Seulement en demi-teinte.
Si tout va bien question réalisation – plans et mouvements de caméra soignés, couleurs chatoyantes, beaucoup d’éléments empruntés au cinéma du look… –, l’écriture de Michael R. Perry affiche quelques lacunes. Le scénariste, qui a scripté son incursion dans l’industrie du cinéma en même temps que Paranormal Activity 2, a choisi l’humour noir pour porter le récit, choix judicieux puisque atténuant le gore au profit d’une loufoquerie distanciée. Dommage que cette dernière soit un poil trop envahissante.
Aussi, amateurs de suspense haletant s’abstenir. Car c’est aux meurtres sanglants et aux conversations surréalistes que The Voices doit ses meilleurs moments. Beaucoup de critiques lui reprochent l’absence d’une véritable enquête et ce légitimement. Personne ne suspecte Jerry ni même le menace. Il faut attendre une dernière ligne droite enguirlandée pour que l’antihéros encourt un risque : une poignée de personnages secondaires peu intéressants et absents jusque-là qui resurgissent façon série policière un peu Z. Autant vous dire que la conclusion désappointe.
En conclusion et malgré tout ce que j’ai pu lui reprocher, The Voices se laisse regarder. Il est un divertissement qui veut bien faire, serti d’ironie et d’humour noir, de folie rafraîchissante. L’absence d’une histoire aux intrigues et personnages développés mais aussi et surtout d’une vraie fin est évidemment à déplorer. Mais il n’y a rien de plus plaisant que de contempler son absurdité qui s’épanouit dans une violence loufoque. L’absurde, c’est un art à part entière. L’essence de la vie et du cinéma. Le sang de l’existence. Le même sang que fait couler l’attachant antihéros pendant 1 h 43. C’est pourquoi les admirateurs de Satrapi seront comblés. Ceux de Reynolds enchantés. Quant à Perry, je doute qu’il puisse se vanter d’en avoir. Bref. Fans de comédies noires, rendez-vous au cinéma !
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le 10 avr. 2015
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