Découvrir le nouveau Aronofsky ne se fait pas sans appréhension ou une certaine fébrilité de la part du spectateur car il impose toujours sa vision sombre et torturée de l’existence en développant des univers ne laissant pas indifférent. The Whale ne fait pas exception.
La plongée dans l’intimité du personnage principal est immédiate par le choix du 4/3 pour faire ressortir son enfermement et le cadre limité où il vit dans un moment crucial de son existence. Il est injuste de croire que le film se réduit à la prestation de l’acteur car il a beaucoup d’autres qualités. J’apprécie cette mise en lumière de Brendan Fraser. Cela fait plaisir à voir lorsqu’on sait qu’il a eu une longue traversée du désert très bien retranscrite par Reservoir Vlog. Sa résurrection avait, selon moi, débuté avant ce film avec son rôle de Cliff, dans la très bonne série Doom Patrol. Personnellement, il n’a pas volé l’oscar obtenu car son personnage est aussi, par extension, une allégorie de la monstruosité, du repli sur soi et du côté autodestructeur des Etats-Unis d'Amérique d'aujourd'hui.
L’autre aspect stupéfiant de ce long métrage est le travail colossal d’Adrien Morot sur les prothèses portées par l’acteur contribuant au réalisme saisissant de l’obésité morbide du personnage central. Réduire le film à l’aspect physique de ce dernier serait trop simpliste car son propos va bien au-delà en incitant à la réflexion sur la culpabilité de ce qu’on peut ressentir en l'infligeant à sa propre chair, après avoir vécu des expériences ou traumatismes douloureux, et sur le jugement que nous pouvons avoir sur des personnes ne reflétant pas la normalité imposée par la société.
A travers ce long métrage, le cinéaste continue d’approfondir son œuvre cinématographique, en tentant de comprendre et de mettre en lumière les mécanismes autodestructeurs de l’être humain pour essayer de les transcender afin que l’on puisse devenir meilleur aussi bien pour soi que pour les autres, dans la mesure du possible. Il met aussi en évidence la puissance de la création littéraire pour se comprendre soi-même par l’évocation de la profession du personnage principal et de sa relation conflictuelle avec sa fille.
Devant la noirceur de nos sociétés contemporaines, il s’interroge également sur l’utilité ou non de la foi religieuse et sur ce qu’elle peut encore amener en ces temps troublés. Son discours sans concession à ce sujet peut déranger mais je le trouve assez pertinent.
Bien que se déroulant dans un lieu unique, le cocon dans lequel le héros tragique s’est enfermé va être constamment chamboulé par l’entrée ou arrivée impromptue ou non de personnages l’incitant à faire des choix et expliciter son positionnement par rapport à la société qui l’a rejeté.
L’ensemble des acteurs représentent un archétype bien spécifique de la société américaine bien interprété par le casting : l’infirmière d’origine asiatique faisant tout pour faire prendre conscience de l’état de santé à son patient, sa fille étudiante centrée sur elle-même, un jeune représentant d’un courant religieux voulant sauver son prochain pour des raisons équivoques.
Ses confrontations font indéniablement la force de ce film, portée par une partition musicale mélancolique, tragique et envoûtante de Rob Simonsen. Cette bande originale, que je trouve magnifique, retranscrit très bien l’état d’esprit des personnages et l’ambiance dans laquelle le réalisateur souhaite nous plonger.
The Whale est une plongée profondément humaine et résiliente dans une société n’ayant plus de repères solides, en raison d’un manque cruel de sincérité et de compréhension dans la majorité des relations que nous établissons avec autrui. Le réalisateur propose encore un film intense émotionnellement, tout en étant plus facile d’accès que The Fountain ou Pi.