The Wicker Man (1974) à l'instar de Wake in fright (1970) de Ted KOTCHEFF, de La Forteresse noire (1983) de Michael MANN ou encore du Sorcerer (1977) de William FRIEDKIN pour n'en citer que trois fait partie de cette liste non exhaustive de films dont on entend parler bien avant de pouvoir ne serait ce qu'avoir le privilège des les voir.
Films maudits, oubliés, auréolés de légendes, que l'on pensait perdus ou simplement régulièrement mentionnés dans les cercles cinéphiles sans bénéficier d'éditions physiques régulières, ni même de diffusions à la télévision ou de sorties en salle et qui dès lors constituent pour tout amateur de cinéma des jalons et des étapes dans un parcours initiatique rythmé par les quêtes de ces œuvres et qui viennent combler au fur et à mesure des découvertes les trous de ce puzzle infini que constitue un parcours et une construction cinéphile.
Toutefois les attentes que l'on place dans de telles œuvres sont telles qu'elles peuvent parfois conduire à des déconvenues, pour ma part par exemple, alors que pour de nombreuses raisons j'avais beaucoup d'espérances concernant le film More (1969) de Barbet SCHROEDER, je restais sur ma faim ; mais je digresse.
L'histoire narrée est en elle même assez simple, un inspecteur de police débarque sur une île isolée de l'archipel écossais aux larges des côtes britanniques pour y enquêter sur la mystérieuse disparition d'une jeune fille, mais rapidement il sera confronté aux mœurs libertaires et aux rites païens de ses habitants, que sa rectitude morale et sa construction théologique chrétienne rigoriste ne pourront souffrir.
Tandis que dans un même mouvement son enquête progresse, son parcours au sein des us et coutumes locales s'apparente de plus en plus à un calvaire. La dépravation qu'il considère établie dans ce qu'il observe, les danses lascives dénudées de jeunes filles aux pieds de menhirs, les cours dispensées à de jeunes enfants durant lesquels leurs sont inculqués des notions issues du paganisme et clairement apparentées à ce qu'on pourrait considérer comme de l'éducation sexuelle, l'omniprésence de symboles phalliques ou de symboles de fécondité, les chansons et poèmes aux paroles subversives qui prétendent expliquer le cycle de vie et de mort par la réincarnation des âmes, l'abandon des sites chrétiens ou leur détournement comme le cimetière théâtre désormais de l'exercice d'une croyance honnie tout ceci constitue pour lui un supplice, une torture psychique qu'il n'aura de cesse de combattre.
Il ne peut envisager l'idée de la réincarnation, mais accepte sans critiques celle de la résurrection, l'idée d'une nature vouée toute entière à procréer et donner la vie dans un cycle immuable lui est impossible mais celle d'un enfant né d'une vierge fécondée par un souffle ne lui pose aucun problème. En cela le film constitue un pamphlet envers les religions et les dogmes inébranlables qu'elles distillent, mais le film n'est pas juste cela.
Lorsque je dis que son enquête progresse ce n'est pas tout à fait exact, disons pour être plus précis qu'à chaque résolution s'ouvrent d'avantages de mystères, en premier lieu, tout le monde sur l'île prétend ne jamais avoir vu cette enfant, ni la connaître, puis il est établi que ceci est un mensonge orchestré pour inciter cet enquêteur à quitter l'île tandis que les préparatifs de la fête du mois de mai vont bon train, puis le soupçon de la mort de cette fillette est balayée à l'exhumation de son cercueil qui renferme le corps d'un lièvre et il en va ainsi à chaque fois, alors qu'il croit se rapprocher de la vérité, vérité qu'il voudrait conforme à ses idées d'un monde régit par les lois cléricales, il franchit un pas de plus vers une autre réalité, cette fois soutenue par d'autres morales, d'autres valeurs.
Lorsque finalement le voile est levé, il comprend trop tard la duperie, le jeu funeste auquel il participe à son insu et la finalité sacrificielle dont il est victime avec la complicité de tous les membres de cette communauté sous l'égide du seigneur des lieux, personnages énigmatique tenant à la fois du gourou spirituel, du potentat absolu et indiscutable, du maître à penser et du fou menant la procession d'un carnaval de l'étrange et du dérangeant, offrant à Christopher LEE un rôle de lord écossais qu'il endosse avec talent et nous permet de découvrir une autre facette de son jeu d'acteur bien loin de ses incarnations habituels de monstres.
Etiqueté comme un film d'horreur, la peur ne naît cependant pas d'une surenchère de monstres ou d'hémoglobine mais dans une construction beaucoup plus subtile étayée notamment par deux caractéristiques.
La première étant une mise en scène qui se débarrasse des mouvements artificiels pour lui préférer l'approche réaliste du film documentaire, une position artistique qui souligne de façon de plus en plus intimidante l'aspect angoissant du lieu et de ce qu'il s'y passe, car du fait que l'on suit tout ceci selon le regard de l'étranger, de l'enquêteur égaré parmi ces bizarreries, notre regard et notre perception des événements se trouvent renforcés dans leur malaise, un malaise palpable sur lequel viennent aussi bien jouer les regards, les chansons ou toutes les actions de ces iliens, et à l'instar de notre policier qui dans une scène au tout début se voit lutter contre le chant enchanteur d'une fille l'invitant à rejoindre sa couche, nous sommes tel Ulysse sous le charme vénéneux de ces corps, de ces danses, des ces rituels, de ces sirènes dont on ne sait percevoir ou deviner le funeste dessein.
Le second artifice tient dans la luminosité du film, constamment baigné de lumières, de soleil, rares sont les scènes nocturnes et lorsqu'elles existent elles sont flamboyantes et éclairées par les feux rougeoyants qui font danser les ombres vives d'ébats sexuels à la gloire d'une divinité de la nuit, cette lumière solaire d'où émerge au final le trouble et une forme de peur m'a évoqué le film Les Révoltés de l'an 2000 (1976) dans lequel une île semble avoir été vidée de ses adultes et devenue le théâtre de cruautés d'un groupe d'enfants, mais l'idée même de cette communauté isolée géographiquement, vivant en autarcie, ayant peu de contacts avec l'extérieur et de cet étranger qui débarquant sous un motif quelconque se voit confronter à des rites dont il ignore tout, des actes auxquels sa nature pragmatique ne l'ont pas préparé et qui au final servira d'offrande à un dieu païen hématophage ne pourra bien entendu que vous faire penser au film d'Ari ASTER Midsommar (2019) dont on peut difficilement nier la filiation, y compris idéologique.
Au risque de manquer d'originalité, je vais à mon tour conseiller vivement ce film culte, qui peut sous certains aspects paraître vieillot, son discours sur l'utopie des communautés hippies m'a par exemple paru d'un autre âge et manquant de recul, mais entre la formidable distribution et l'inhabituel trame narrative qu'il construit pour ensorceler son spectateur, il saura satisfaire beaucoup parmi vous friands de propositions iconoclastes, provocantes, délirantes, étranges et afin de conclure, deux noms me revenaient en tête régulièrement durant mon visionnage, celui de David LYNCH et celui de Alejandro JODOROWSKY.