L'histoire est incroyable et le film tout autant. Dépassant l'anecdote documentaire pour faire naître en nous des sentiments contrastés, déconcertant, magique et bouleversant, parfois inconfortable, The wolfpack est un véritable choc.
Six frères aujourd'hui âgés de 16 à 22 ans ont passé toute leur enfance enfermés dans un appartement newyorkais, seulement liés au monde extérieur par des centaines de films à regarder sans cesse. Sous le joug d'un père idéaliste et tyrannique, éduqués par une mère bienveillante et compétente (diplômée et payée pour ce travail) mais elle-même sous l'emprise de son mari, les six garçons (et leur petite sœur qu'on voit peu) ont grandi dans un monde clos comme les louveteaux d'une même portée.
Le film commence alors que la cellule familiale implose. Le père semble ne plus dialoguer avec ses enfants, à peine avec sa femme. Il boit beaucoup, est rejeté par certains de ses fils, le rêve de les soustraire aux méfaits de la société ne s'est pas réalisé. Alors que l'un des garçons a quitté seul l'appartement à l'âge de 15 ans, c'est le moment pour tous de s'aventurer au dehors.
Résumer ainsi The wolfpack ne dit pas grand chose de la richesse du film, encore moins de sa complexité et des questionnements qu'il suscite. Il serait trop simple et faux de faire le portrait d'un père tyrannique quand on mesure la manière dont ses fils en transforment l'héritage. S'ils ont souffert, s'ils en rejettent les méthodes et l'autoritarisme, leur manière d'évoluer, leur façon de penser, leur regard sur le monde sont le prolongement de cette éducation en marge.
Au-delà donc de l'aventure hors-norme de ces six frères, The wolfpack est une reflexion sur l'éducation, ses dérives, les erreurs qu'elle commet, son influence primordiale sur notre existence d'adulte. Les témoignages de la mère et les rares interventions du père viennent aussi enrichir notre compréhension d'une fratrie qui demeure tout de même assez mystérieuse (ce qui contribue au charme singulier du film).
La mise en scène fluide de Crystal Moselle (dont c'est le premier long métrage) est aussi empathique que belle (et portée par une brillante B.O.) et capte à merveille l'esprit de meute qui anime les frères, reprenant à son compte leur impressionnante fibre artistique, leur permettant aussi de se confier, d'exprimer leurs peurs et leurs ressentiments.
Les frères sont artistes. Ils ont passé leur enfance à regarder des films et à en rejouer des scènes, confectionnant les costumes, mettant au point effets spéciaux et cascades, jouant sans cesse, appréhendant le monde par le prisme du cinéma, apprenant à raisonner, à réfléchir, à se construire. C'est cet implacable constat, celui d'admettre que ces garçons sont intelligents et brillants, vifs et bourrés d'envie de vivre bien que meurtris et marginaux qui rend aussi le film si passionnant. Il met à mal idées reçues et fantasmes.
Attachants et parfois bouleversants, drôles et singuliers, les frères Angulo sont au cœur d'un film unique qui confirme la richesse du cinéma documentaire contemporain.