Après les pulsions psychotiques et psychédéliques de Requiem for a Dream, l'obsession dérangeante et schizophrénique d'une danse macabre dans Black Swan, la métaphysique intemporelle de sa Source, Darren Aronofsky revient avec une œuvre plus "classique". Le film tombe en effet sur les poncifs et la signalétique classique des quêtes d'identités de personnages déçus et déchus. Ainsi les topoï se succèdent de la chute brutale à la réflexion mémorielle en passant par un retour à la famille et une plongée chaotique dans les abîmes.
Aronofsky brode un portrait d’anti-héros comme un documentaire au plus proche du réel, caméra à l'épaule, rejette les expressions fantasmatiques générées par le catch-spectacle, bourré de strass, de paillettes et d'une effervescence luminescente au profit d'une introspection sombre et froide. Devant nos yeux ébahis s'étoffe l'itinéraire sombre et mélancolique d'un ancien parangon du catch amateur, The Ram (le bélier), littéralement incarné par Mickey Rourke. Ce dernier, de retour devant les écrans après sa «bête» démente dans Sin City, se sublime dans un rôle de composition, une icône rock plastifiée, stéroïdée, désabusée, le teint hâve et défait. Sa transformation d'un roi du ring à un roi du spleen éternel pour aboutir à un perdant magnifique malgré les dégâts du temps est merveilleusement exécutée par Rourke et ses maquilleurs. The Wrestler est avant tout une plongée profonde, alcoolique et stupéfiée dans une Amérique populaire, traversant les galetas miteux des camps de caravanes, les bouges et autres club de strip-tease, le sardonique, routinier et avilissant quotidien. La profondeur de cette cicatrice béante d'un mal immarcescible remplaçant les blessures factices et volontaires du combat idoine au monde du catch touche, trouble. Le cliquetis des seringues et les régimes médicamenteux succèdent aux cris des assemblées bacchanales en furie possédées par la passion de leurs héros scéniques. L'hémoglobine suintante et dégoulinante, le fracas des chaises claquantes, des tables fracassées, des arcades déchirées oubliées par la sonnerie lancinante, la touffeur de l'étal d'une boucherie où célébrité et identité sont désincarnées par l'anonymat des autres, tout cela nous étourdi, nous abasourdi. Cette foi inextinguible pour un glorieux retour, l'appétence de retrouver âme et raison d'exister nous tiennent éveillés. La faiblesse de ce film tient dans la sous-intrigue amoureuse et familiale, à la puissance scénaristique plus faible et n'est qu'un faire-valoir pour illustrer le dépassement de soi face à la misère fossoyeuse d'espoir. Du beau, du bon, du brut.
« Tout à l'heure ce sera l'appel profond du jour, mais maintenant c'est seulement la tristesse misérable de l'aube, l'heure blême ». André Malraux – L'espoir.