Le catch Américain est un bien curieux spectacle. Criard, hystérique, kitsch, fake… grotesque même.
Et cette grotesquerie est encore plus exacerbée quand elle n’est pas auréolée des paillettes des diffusions télévisuelles en pay-per-view.
Nous pouvons sincèrement nous demander ce qui motivent ces (certes) athlètes à se déguiser, à se martyriser, puis à se réunir dans des lieux sordides pour parodier des vendettas de nice guys contre des bad guys.
Et plus encore, qu’est ce qui motivent des spectateurs à assister à des combats qu’ils savent chorégraphiés à l’avance, en hurlant néanmoins aux uns et aux autres de se massacrer ?
Et bien, probablement parce que « The Wrestler » est un film bien lugubre.
Filmé dans l’Amérique profonde, l’Amérique « moche », dans un New Jersey gris, glacial, pauvre, et cabossé de partout à l’image de son héros… peut-être que ce simulacre du « gentil » contre le « méchant » est salutaire pour le quotidien des habitants ? Peut-être parce que le spectacle de ce mastodonte défenseur du « Bien », cette parodie de super-héros, est une des rares grâces de leurs vies misérables ?
L’histoire de « the Wrestler » nous invite donc à suivre Robin Ramzinsky, qui préfère d’ailleurs se faire appeler « Randy » ou « Ram », en hommage à son pseudonyme de catcheur : Randy "the Ram" Robinson.
Le Bélier.
Comme nous le découvrirons plus tard, l’animal a effectivement la tête aussi dure qu’un bord de trottoir.
La cinquantaine bien entamée, il est une ancienne star du catch, et a connu son apogée au cœur des années 1980 qu’il chérit particulièrement.
(On ne lui en veut pas, c’est vrai que 1/ la musique déchirait, et que 2/ Kurt Cobain est surcoté.)
An old broken-down piece of meat.
Nous sommes en 2008.
A un âge où beaucoup ont raccroché, de gré comme de force, Robin combat encore le week-end dans des fédérations locales. Il vit de ses maigres cachets qu’il complète par quelques heures de travail au supermarché du coin.
L’envers du décor catchesque est touchant, c’est le moins qu’on puisse dire : appareil auditif, lunettes de lecture, chevelure clairsemée (camouflée par des extensions blond chimique), misère sociale, misère affective. Quand il ne donne pas de faux coups de pied sur le sol du ring pour faire résonner ses faux uppercuts, il semble bien loin notre super-héros…
Robin est entre deux âges : il n’est pas encore tout à fait « vieux », mais il est sur le point de le devenir.
Et s’il n’était pas déjà au courant, un accident cardiaque, doublé d’une séance de dédicaces révélatrice en compagnie d’autres catcheurs (bien cognés) à la retraite, va très vite le rappeler à cette réalité.
Robin est désespéramment désœuvré. Il ne fait pas grand-chose de son temps libre, et dépense le peu d’argent qu’il gagne dans le club -glauque- à striptease du coin. C’est là qu’il interagit avec quelqu’un d’extérieur au monde du catch (et de la dope), et qu’on peut se risquer à qualifier « d’amie » : Cassidy, de son vrai nom Pam.
J’ai lu quelque part que Cassidy comme Randy étaient deux prostitués. C’est exactement ça.
Ils sont tous les deux dans le business de la viande.
La première dénude sa viande, l’expose, l’exhibe, la fétichise.
Le second la dénude aussi, la tabasse, la perce, la fait saigner.
Au final, les deux sont tout autant réduits à leurs corps qu’ils en sont dépossédés, ce qui explique leur alchimie.
D’un côté le corps de Robin ne lui appartient pas : il appartient au public. Le public veut une longue chevelure blond platine, il veut une masse de muscles bronzée, il veut un corps qui s’écrase au sol en se jetant tête la première du haut de la troisième corde, encore et toujours.
D’un autre côté, il est désespérément prisonnier de ce même corps. Comme beaucoup de « vrais » catcheurs, une fois la gloire passée et l’argent dépensé, il ne reste plus que l’addiction aux anti-douleurs, sans lesquels ces colosses aux pieds d’argile ne tiendraient pas debout plus d’une minute.
Show must go on.
Et oui, « The Wrestler » est une triste histoire.
Premièrement, parce qu’il fait appel à une peur que nous nourrissons tous, sans exception : la peur d’être fini. De devenir obsolète. La peur qu’un jour, nous ne servions plus à rien, ne comptions plus pour rien ni pour personne.
Deuxièmement, parce que même si le héros ne parvient pas à se voir autrement que « Randy The Ram », nous, spectateurs, voyons bien qu’il a le potentiel d’être autre chose.
Preuve en est avec cette courte scène derrière le comptoir du traiteur, par ailleurs improvisée par Rourke avec de vrais clients. Nous constatons bien que Robin est autre chose, qu’il PEUT être autre chose.
Dans cette grisaille dégueulasse, dans ce supermarché miteux, dans cette existence pitoyable où Robin arrive tout juste à payer son loyer… il a un don, qui explique par ailleurs son succès passé : il sait magnifier l’existence. Dynamique, vif, drôle, engageant… heureux même, pendant quelques minutes, on voit qu’il sait aimer, et qu’il sait être aimé en retour pour « Robin ». Et pas pour « The Ram ».
La tragédie annoncée nous semble ainsi tout aussi inéluctable qu’inutile.
Un vrai uppercut. En pleines tripes.
En conclusion : ce corps, ce vieux bout de viande comme il se décrit lui-même, est certes périmé. Mais l’âme, porteuse d’autant de cicatrices que le corps, est étonnamment vivante !
Bien qu'il ne soit pas LE chef d'œuvre d’Aronofsky, il reste mon préféré de toute sa filmographie.
Il m’a complètement pris aux tripes.
De tous les films d’Aronoksky, il s’agit du plus « vrai ». Absolument sans aucun effet, qualifié parfois de « naturaliste », il est profondément viscéral. Pas de chichis de réalisation, de montage, d’effets spéciaux, de bande son originale... C'est presque un documentaire filmé à la première personne, où nous sommes très souvent dans les pas du héros. Le fait que la destinée de Robin raisonne de manière troublante avec celle de Mickey Rourke, qui a par ailleurs réalisé toutes ses scènes de combats lui-même (je te vois, Natalie Portman), n’y est pas pour rien.
Merci au réalisateur de nous avoir emmenés dans coulisses du catch Américain, ce sport-spectacle si mal connoté. Aussi faux soit-il, la souffrance engendrée est bien réelle. Et tous ces gars prennent vraiment très cher, pour simplement nous « distraire ».
Pour finir, ce film a réussi à me faire quelque chose, que même « Requiem For A Dream » n’a pas réussi.
Si je rencontrais Robin/Randy dans « la vraie vie », sincèrement, j’aurais beaucoup de mépris pour lui. Je me dirais que s’il en est là, c’est probablement qu'il le mérite, que c'est tout simplement la conséquence de ses choix et de ses actions passées.
Mais le film, lui, réussit à me faire sincèrement aimer ce personnage, et à souhaiter qu’au bout de son chemin de croix, il trouve la paix et la rédemption tant espérée. Et largement méritée, très certainement.
Et c'est peut-être ça, la magie du cinéma.