Renaître des cendres du présent

Le premier essai de James Gray, Little Odessa, était une réussite de tous les niveaux : excellent drame, il portait un message politique fantastique, une histoire familiale déchirante, une conclusion bouleversante. Il y avait de quoi se réjouir à l'idée de suivre une nouvelle intrigue dramatique, avec cette fois Joaquin Phoenix, Charlize Theron, James Caan dans les rôles titres. La présence de Mark Walhberg pouvait certes rebuter, mais c'était oublier qu'il fut, un temps durant, bon acteur.


Il n'est pas surprenant de voir qu'au final The Yards est un film principalement axé sur la famille : thème cher aux trois premiers films de James Gray (le dernier étant La nuit nous appartient), il est ici exploité dans un registre contraire à celui du premier film. Si Tim Roth incarnait un tueur à gages tentant de renouer avec une famille d'une pauvreté absolue, Mark Wahlberg sortant de prison est, dès son arrivée chez lui, assailli de toute part par sa famille, ses amis, ses proches, des gens du luxe qui se comptent en dizaines.


Il ne s'agit plus de suivre un film sur la solitude d'un être perdu : Gray nous dévoile, peu à peu, que les apparences de ces hommes riches sont trompeuses, et que les amis, n'étant pas forcément ceux que l'on croit, trahissent comme ils respirent pour justement entretenir leur train de vie irraisonnable. Loin du film de réconciliation, on tient là une oeuvre de séparation, d'éclatement d'un cercle soudé : du personnage de James Caan, revenu aux années du parrain pour remplacer Marlon Brando dans le rôle, au magnétique Joaquin Phoenix ou à la sombre, mais toute fragile, Charlize Theron, en passant par une mère malade interprétée par une Ellen Burstyn toute en finesse (thématique de la mère visiblement importante pour le réalisateur), aucun ne sera épargné dans l'histoire, tous sauf Wahlberg, manière Little Odessa.


Une implosion amenée par un retour qui déclenche de vieilles rivalités, ou même les dévoile au grand jour; à James Gray, maintenant que son film est lancé, de poursuivre la trajectoire de son drame familial terrible pour nous pondre, une fois de plus, une claque façon drame Shakespearien. Si certains éléments pourront gêner (quelques mauvais agissements des personnages qui sonnent faux, à l'image du manque de prudence de Wahlberg sur certaines scènes de poursuite ou de tension), ses qualités majeures passionneront jusqu'à ce final en règlement de compte par les mots, face à des gens toujours plus haut placés et prétendument inatteignables aussi.


S'il manque parfois de finesse (le personnage de Charlize Theron pâtit du cliché émo-gothique de l'époque), on ne peut reprocher à The Yards sa terrible efficacité et la beauté de sa mise en scène, où tout sera posé sur la table pour transmettre l'atmosphère la plus sombre au spectateur, en passant par une ville toujours aussi centrale dans l'intrigue, et des scènes en intérieur qui, à mesure qu'évolue l'intrigue et les rapports qu'entretiennent les personnages, deviendront de plus en plus inquiétantes.


Il y a, dans The Yards, également la figure importante du père adoptif : tenu de manière charismatique par un James Caan aux airs de Brando (le fils devient le père, et le père le fils), il campe à la fois le paternel de Phoenix et la figure parentale masculine de substitution d'un Mark Wahlberg affaiblit par les évènements. Jouant dessus, il ne souffre d'aucun manichéisme, se présentant à la fois comme une pourriture désireuse de garder intact son statut social au placé, et comme un homme profondément humain, pratiquement incapable d'abattre, ou de lancer les chiens, sur celui qu’il considère définitivement comme son propre fils.


Face à ce climat pesant, on suit l'intrigue passionnée, de ce plan d'introduction qui se répercute à la dernière seconde, de la sortie de prison au dernier procès, de la trahison à la rédemption, du crime à la vengeance. Tout cela se déroule en parallèle d'une scène terrible en intérieur, dramatique et, c'est à n'en pas douter, pratiquement égale à la conclusion déchirante de Little Odessa.


Coup réussi pour James Gray qui, en signant là un excellent polar dramatique, continue prodigieusement bien son ascension à Hollywood. Il prendra dès ce film Joaquin Phoenix comme acteur fétiche, que l'on recroisera dans, à tout hasard, La Nuit nous appartient, Two Lovers et The Immigrant, et imposera Mark Wahlberg nous plus comme un rappeur un brin ringard, mais comme un acteur à part entière capable de jouer justement, avec ce qu'il faut d'émotion et, à l'issue, d'émouvoir mieux que n'importe quel autre acteur de ce solide The Yards.

FloBerne

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