Il y a comme une chronologie secrète autour de The young lady, une macération du temps qui déboucherait à aujourd’hui et à ce film. De fait, tout commencerait vers 1600 quand Shakespeare écrivit Macbeth, et de ce drame sombre comme un puits en enfer, on retiendra surtout le personnage de Lady Macbeth, femme fatale et reine manipulatrice. Plus tard en 1847, Les hauts de Hurlevent d’Emily Brontë exaltera, au milieu de la lande écossaise, l’amour fou de Catherine Earnshaw pour Heathcliff. Plus tard encore, en 1857, Madame Bovary de Gustave Flaubert fera de son Emma une femme malheureuse enfermée dans les conventions (et qui en mourra).
Enfin en 1865, Lady Macbeth du district de Mtsensk de Nikolaï Leskov, dont The young lady est une libre adaptation, semble compiler naturellement ces trois-là et inspirera même un opéra en quatre actes de Dmitri Chostakovitch. On pourrait, pourquoi pas, continuer jusqu’en 1928 avec L’amant de Lady Chatterley de D. H. Lawrence où une femme, Constance, redécouvre l’amour et le bonheur avec un garde-chasse, avec un homme extérieur à son milieu. The young lady paraît ainsi se nourrir, se gorger de ces femmes tragiquement amoureuses, de cette littérature romantique et noire pour façonner son héroïne, une héroïne nouvelle, inédite : Katherine (comme chez Brontë, tiens donc).
Dans le fond et dans sa forme, le film reprend plusieurs points, quelques particularités de chaque roman pour en faire, là aussi, une sorte de mélange, un alliage parfait : l’amour interdit, la manipulation, le meurtre, le désespoir, la mort, la différence de classe, et la lande tout autour… Nous découvrons donc, dans The young lady, une jeune femme asservie par un patriarcat brutal s’enfoncer de plus en plus dans les ténèbres, non plus par amour et par passion (au début), mais presque par vengeance de ce qu’elle a subit (mariée de force, cloîtrée dans le manoir familial, délaissée par monsieur et réduite au rôle d’épouse obéissante).
Ses actes sont comme une rébellion nécessaire pour s’affirmer, tenter d’exister face à un mari et un beau-père détestables, puis finalement plus radicale, abjecte jusqu’à l’impensable quand il faudra légitimer
le crime d’un enfant.
À la fois victime et bourreau, Katherine incarne cette forme d’innocence réduite en morceaux par une société toujours plus oppressive, apte à engendrer ses propres monstres et dont Katerine sera l’un des spécimens les plus brillants. William Oldroyd (metteur en scène) et Alice Birch (scénariste), tous deux venus du théâtre londonien, se sont habilement emparés du roman de Leskov en décidant de le transposer dans l’Angleterre victorienne.
Au cœur d’une nature farouche et d’intérieurs stricts, étouffants malgré leur dépouillement (d’ailleurs fortement inspirés des tableaux mélancoliques de Vilhelm Hammershøi), Oldroyd en magnifie la noirceur, le fiel et la modernité avec une douceur étonnante, sans excès, mais toujours avec piquant. Il révèle également l’étonnante Florence Pugh dont l’intensité et la présence rappellent celles d’Anya Taylor-Joy, découverte l’année dernière dans le superbe The witch. Les deux actrices imposent une interprétation remarquable dans le rôle de jeunes femmes sur le point de s’affranchir de tout, quitte à embrasser le Mal.
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