C’est l’histoire d’une société.
Dehors, le vent chante la liberté de sa belle voix sauvage. A l’intérieur, le silence. Rien d’autre que le tic-tac hypnotique des horloges. Rien à faire. Rien à dire. Rien à penser. Rien d’autre que d’être belle et de se taire et de remplir son rôle, ce pour quoi elle a été achetée, comme un joli buffet de bois ciré, avec bougeoir en argent et saladier en porcelaine, dans lequel on viendrait ranger son appétit sexuel à la place des assiettes et des verres et des couverts, et duquel on sortirait un bambin a l’occasion. Parfois, les copains en vestons viennent à la maison et ils discutent et ils rient et ils boivent devant le joli buffet de bois ciré, et parfois encore, ils lui jettent un petit regard envieux, car c’est vraiment un très joli buffet.
Prise au piège dans une grande maison, les règles d’une société rigide à la place des barreaux, la liberté qui vous fixe dans les yeux depuis le derrière des fenêtres avec son doux regard vert et marron et orange et bleu et blanc. Le même couloir gris, les mêmes escaliers en colimaçons, la même salle à manger de bois foncé, le même salon bleu automnal, tous les jours, pour toujours.
Mettre un peu d’humanité, belle, insoumise, débordante dans ce monde de règles et de devoirs. Mettre un peu de passion, brûlante, dévorante, incontrôlable, dans ce monde froid et calculateur. Mettre un sourire sur ce visage, un bouquet de fleurs sur la table basse de cette âme. Sortir du cadre de cette société figée et de chaque plan qui se présente. Faire sa petite révolution. Ecrire ses propres règles. Se construire un petit bonheur dans cette maison cauchemardesque. Un bonheur que personne n’empêchera. Un bonheur qui piège tous ceux qui l’entourent comme un chat entre le béton et les pneus d’un semi-remorque. Un bonheur froid et démoniaque. Un bonheur sculpté dans le sang et dans la chair. Voir sa révolution se briser contre le mur d’une société inébranlable en milliers de petits morceaux de cristal. Ils flottent doucement dans les airs pendant des minutes qui s’étendent toute une vie et lui renvoient des milliers de petits reflets de son échec.
Parce que c’est ce que ça fait de se sentir du mauvais côté de la société. Parce qu’elle finit par vous transformer en tout ce qu’elle est. Et puis tout rentre dans l’ordre, inévitablement. Implacablement. Alors tout recommence.
Rien ne change.
Et la revoilà en plein centre du plan. Piégée dans ce cadre figé.