Ne vous fiez surtout pas au début du film: on serait d'abord tenté à croire à une intrigue banale, grossière, proche du mélo, d'un film fait pour les femmes par un homme qui n'en connaît que les stéréotypes.
Or, rien de tout cela. Ce début trompeur n'est que le rideau d'une première pluie qui précède une immense tempête, un déluge intérieur. Celui-ci se déchaînera dans un chronotope que le cinéaste adapte: pendant une époque victorienne stricte, austère, dévote, où les femmes n'avait pas encore accès à l'éducation et donc aucun pouvoir, dans l'intimité d'une maison isolée en pleine campagne britannique, au milieu d'une nature indifférente, sauvage, rugueuse, aux pierres aux arêtes tranchantes et à la végétation dense que l'homme n'a pas domestiquée.
L'éclair, la foudre, c'est Katherine (la troublante Florence Pugh, magistrale, dans ce rôle à la Isabelle Huppert) qui l'a entre ses mains et déclenche cet enchaînement tragique dont on ne peut que deviner l'issue - rappelant le chef d’œuvre de Herzog, Aguirre ou la Colère de Dieu. De cet autre personnage tragique, elle partage la folie froide, pulsionnelle, maléfique voire machiavélique, folie la rapprochant aussi indéniablement d'une Mme Bovary qui par amour franchit un bord périlleux dont elle ne reviendra plus. Car voilà le nœud de l'intrigue, le dilemme pour ainsi dire qui se pose à la protagoniste: accepter le rôle d'épouse que lui dicte la société d'alors (famille, religion, codes sociaux, ...) ou être libre d'aimer, quitte à se mettre au ban de cette société et à l'écart de la morale? Elle optera vaillamment pour la liberté, ce qui lui procurera un bonheur sans limite de même qu'une souffrance à la mesure de son plaisir coupable.
William Oldroyd, dont c'est le premier film, frappe d'emblée très fort avec ce drame romancé sulfureux, aussi brûlant que la glace (pour reprendre l'excellent commentaire de Baudelaire au sujet des Liaisons Dangeureuses de Laclos) qui a le mérite de réunir l'approbation presque totale de la critique. Sa jeunesse imprégnée de religion déteint sur son film, de même que son expérience sur les planches influence sa mise en scène très théâtrale. Toutefois, il nous livre ici un vrai film, à l'image très soignée (soulignons l'excellent cadrage du photographe Ari Wagner), filmant à merveille les corps (morts ou amoureux, verticaux ou horizontaux), à la grammaire limpide évitant tout ornement stylistique vain, au rythme parfait fait de temps mort chargés d'une tension sourde et latente puis d'événements qui ne cessent de nous surprendre. Une grande réussite sans aucun doute, qui laisse augurer d'un futur prometteur.