C'était un matin morne comme il y en eût tant d'autres. Le métro glissait sur ses rails, les vitres mutilées se lavaient de panoramas gris et un air d'hiver pénétrait les rames à chaque arrêt. Il y avait un probable journal, coincé entre deux grosses personnes malhabiles. Je m'excusais et entrais en possession du sous-estimé St-Graal et parcourant les pages dégoulinantes d'imprimés, mon oeil fut captivé par la bouille de chien malheureux de Doherty. Mes sens s'affolaient, Doherty dans ce torchon? Mes yeux remontaient d'un bond jusqu'à l'intitulé: Les Libertines se reforment. L'arrêt suivant, la rame évacue un surplus de liquide dont le bonheur est le principal composant.
J'ai depuis gardé cet article dans mon petit in-folio contenant ma collection d'articles et numéro spéciaux consacrés au groupe mythique. Les deux albums des Libertines figurent parmi mes préférés, en fait je peux le dire: c'est mon groupe préféré. Certains parlent d'un fanboy primaire, moi je préfère y voir un lien beaucoup plus profond et complexe qu'il n'y parait de prime abord. Les Libertines, de mon point de vue, sont la seule véritable histoire du rock qui vaille la peine d'être racontée. Elle est délicate, passionnée et terriblement, tragiquement rock and roll. Sans donc me lancer dans des paragraphes dithyrambiques qui ne parleront qu'aux fans -même si par ailleurs ce film n'a été en grande partie réalisé que pour les amoureux du groupe- voici quelques souffles que m'ont inspiré ce film.
Roger Sargent répondait au public: "j'ai été photographe pendant très longtemps, depuis les vacillements du punk jusqu'à aujourd'hui. J'ai photographié les meilleurs, les plus célèbres, les Clash, Nirvana, U2, Oasis, Damon Albarn, Eminem, Marylin Manson et d'autres. Mais j'ai suivi les Libertines quand ils commençaient à tourner dans Londres lors de leurs guerilla gigs en 2002." "De toutes les histoires que j'ai capturées, celle-ci est sans doute la plus belle mais aussi la plus triste."
C'était à Paris en début d'année lors de l'unique projection du film en France (il me semble, puisque le film n'est jamais sorti en salle), en présence du cinéaste qui a déjà dédié un ouvrage sur le duo en or britannique (Bound Together, éditions Brown Book Group). Il expliquait les raisons qui l'avaient poussé à réaliser ce film/documentaire. On lui demandait de couvrir l'événement de la reformation du groupe à l'occassion de deux dates lors de festivals rock été 2010. Au montage, il s'est rendu compte qu'il fallait en faire quelque chose de plus ambitieux. Les deux leaders du groupe, aujourd'hui séparés par tout l'un de l'autre acceptent des interviews de leur côté. Le reste du film sera des clichés de Sargent en diaporama et des extraits live.
Si mon attitude de fanboy vis-à-vis de ce groupe a cessé peu après la vision de ce film particulier c'est que celui-ci, d'une certaine façon, met à l'histoire des Libertines un point d'arrêt. Tout le film converge vers ce couple de compositeurs de génie, détruit, qui culmine sur cette incapacité a faire face au désastre de leur relation. "Il s'est passé tellement de choses que ni l'un ni l'autre n'oublieront" avoue l'un, "à chaque fois qu'on se retrouvera, il y aura des traces des trahisons du passé" dira l'autre. L'histoire peut paraître niaise, pourtant elle est réelle. Plus loin encore qu'une simple tranche de rock, c'est une histoire d'amour devenue impossible qu'ont écrit les Libertines. En cela la seule et tragique, dans laquelle tout le monde retrouve au moins un fragment de son reflet au fond des larmes de ses deux héros, abattus et en pleurs durant les projections privées qui ont été organisées respectivement pour Doherty et Barat.
Un documentaire éprouvant et émouvant. La plus belle expression de l'histoire de la musique, tout simplement.