Il faut du courage pour se lancer dans l’adaptation du Thérèse Desqueyroux de François Mauriac : une oeuvre décrite comme brillante mais d’une morbidité étouffante. Claude Miller, déjà malade, avouera lui-même avoir été influencé par son état lors du tournage, qui teintera de mélancolie ce film devenu posthume.
Trop rapidement flétrie, telle une fleur cueillie et fanée avant l’heure, Thérèse Desqueyroux s’étiole dans un mariage qui devait pourtant, selon elle, “lui remettre les idées en place”. Dans son roman, Mauriac crache sa haine de la bourgeoisie provinciale : ses mariages arrangés pour des questions de terrains plantés de pins, sa rigidité, son sens hypocrite de la famille, son carcan suffocant. Thérèse, engluée dans une existence qui ne lui laisse que peu de choix, dépérit dès ses plus jeunes années, n’ayant vécu qu’une enfance heureuse.
Claude Miller a choisi d’adapter ce roman notamment en raison de l’ambiguité morale qui s’en dégage : une anti-héroïne, empoisonneuse sans préméditation, mais sans émotion ni remords non plus, dont la froideur ne laisse pas indifférent. Audrey Tatou s’en sort assez bien ; sans être éblouissante, elle nous déstabilise avec un rôle qui ne lui ressemble pas. Sans la détester, nous ne parviendrons jamais à l’aimer.
Le meilleur et le pire de ce long-métrage est sans conteste Gilles Lellouche : étonnant choix pour un acteur qui se distingue surtout par des rôles comiques, et pourtant excellent en Bernard Desqueyroux, insupportable de bonhommie, répugnant de simplicité. Miller nous plonge dans le quotidien morne d’une femme qui a été mariée sans amour à cet homme : le quotidien puis l’habitude, le sexe sans passion, l’ennui, puis le dépérissement. Prisonnière, elle ne voit qu’une issue à son calvaire, et Lellouche est tellement bon à se rendre agaçant (même quand ce n’est pas voulu, d’ailleurs) que nous attendons, presque avec impatience, ce moment jouissif et coupable.
Malheureusement, l’ensemble est bien trop lent et manque cruellement d’émotion ; nous sommes perfusés de longues soirées mélancoliques et de campagnes pluvieuses au son monotone d’un piano sans charme. Il faudra attendre une bonne heure avant de ressentir un début de stimulation émotionnelle alors que la relation entre les deux personnages se corse enfin un peu. Même les scènes à haut potentiel de sensualité comme la rencontre de Thérèse et Jean ne font que l’effet d’un pétard mouillé, au sein d’un film à la linéarité soporifique. Dommage, car nous en sortons un peu endormis, avec l’impression d’un bon film – eût-il bénéficié d’un peu plus de saveur.