Thérèse Desqueyroux par C B
Au cœur des Landes, la jeune Thérèse Larroque et sa meilleure amie Anne Desqueyroux, passent un été insouciant et heureux. Entre vagabondages à vélos dans la forêt et promenades en barque, elles rêvent d’une vie future pleine de surprises et de liberté. Mais bientôt, les rêves font place à la réalité pour Thérèse : celle d’un mariage arrangé avec le frère d’Anne, Bernard. En ces années 1920, dans les grandes familles bourgeoises, rien de mieux qu’un mariage pour consolider les fortunes. Thérèse (Audrey Tautou) accepte de se soumettre aux traditions, avec une pointe d’espoir. Mais la déception arrive plus vite que prévu, dès son voyage de noce, lorsqu’elle s’aperçoit que Bernard (Gilles Lellouche), ne lui offre rien qui puisse la faire rêver. Devenue mère, Thérèse va peu à peu s’enfoncer dans une dépression qui l’amènera à empoisonner son mari.
Lorsque Claude Miller entame la réalisation de Thérèse Desqueyroux, il est déjà très malade. C’est pourtant loin d’être une œuvre testamentaire, même si une certaine gravité en émane. Contrairement au roman de François Mauriac, paru en 1927, le réalisateur a choisi de simplifier la structure narrative dans une volonté d’épure. Alors que dans le livre, Thérèse revient sur sa vie passée, le film commence par son adolescence et se poursuit de manière chronologique. Ce qui tranche également avec le roman, c’est la caractérisation du personnage de Thérèse Desqueyroux. En effet, Claude Miller semble éprouver une réelle empathie pour son héroïne alors que François Mauriac transmet une vision beaucoup plus féroce, à la limite de la misogynie.
Le cinéaste a donc choisi de réactualiser le propos du livre en lui donnant une dimension quasi-politique et féministe. Le film est le récit d’une libération alors que le roman évoque surtout l’emprisonnement. Le réalisateur choisit d’humaniser le personnage de Bernard, qui après avoir frôlé la mort, finit par « libérer » Thérèse. On ressent beaucoup de tendresse dans le regard porté par Claude Miller sur son héroïne. Il ne va pourtant à aucun moment essayer de percer réellement le mystère qui entoure son passage à l’acte. A travers certains éléments de réponse, le réalisateur va au contraire intensifier son opacité, laissant au spectateur le choix de sa propre interprétation.
Le casting constitue certainement l’un des principaux atouts du film. Audrey Tautou interprète de façon magistrale une Thérèse étouffée par le poids des traditions et en quête de liberté. Elle parvient à la rendre fascinante et mystérieuse. Gilles Lellouche, dans le rôle de Bernard, est remarquable dans un registre plus grave qu’à l’accoutumée. Les autres acteurs portent également le film, en particulier, Anaïs Demoustier, parfaite dans son interprétation d’Anne.
Même si le film souffre parfois d’un académisme formel, trop scolaire, et de certaines longueurs, Claude Miller arrive à rendre sensuel l’univers froid et oppressant de François Mauriac. Notamment grâce à un travail très soigné de l’image et de la lumière. Le film cherche à toucher et à émouvoir, et n’a pas peur de parfois frôler le mélodrame, tout en gardant une certaine pudeur. On peut toutefois regretter l’omniprésence d’un piano romantique qui ne cesse de souligner la situation dramatique et les émotions de Thérèse tout au long du film.
Bien que l’histoire se déroule en 1920, le thème traité est toujours d’actualité car il existe encore de nombreuses femmes dont le destin est rendu tragique par le poids des traditions et de leurs familles. Claude Miller signe un dernier très beau portrait de femme, qui complète ceux qu’il a réalisé tout au long de sa carrière (L’effrontée, La petite voleuse). Une œuvre parfaitement maîtrisée, celle d’un grand auteur en pleine possession de ses moyens.