Marcel Carné est sur la sellette et les producteurs l'ont à l’œil en lui imposant un budget minime et un délai de tournage très court. Son exubérance et son sens de la démesure font peur.
Simone Signoret ne veut plus jouer depuis qu'elle vit un grand bonheur avec l'homme de sa vie. Il jouera la corde sensible pour la décider. Sa beauté à la fois sauvage et moderne s'accordent parfaitement aux choix plastique du metteur en scène. Elle ne cachera pas son bonheur de redevenir actrice.
Raf Valone refuse d'être doublé pour jouer Laurent et veut garder son accent italien.
Bref, de quoi mettre une ambiance de feu sur le tournage...
Face au manque d'argent pour les décors, il choisit de transposer l'histoire de cette femme mal mariée dans une ville de province contemporaine. Il adaptera le roman de Zola en conséquence, en modifiant les éléments clé é les enjeux voulus par l'auteur. Le poids social de l'adultère tournera plus en culpabilité personnelle. Cela change la donne mais ne diminue en rien la force du propos et permet à Simone Signoret de proposer une interprétation d'une richesse encore plus incroyable que le personnage de Thérèse est complexe.
La fatalité de Carné devient plus crédible que le remords de Zola.
Le personnage inventé par Charles Spaak, coscénariste et dialoguiste, personnifie cette prise de position. Il incarne le destin. Tout l'interdit sexuel évoqué par cet adultère pèsera sur les frêles épaules de l'acteur choisi pour l'interpréter.
Il joue aussi d'une manière saisissante des yeux et du regard de ses comédiens. Celui de l'inconnu du train, de la mère Raquin (effrayante Sylvie), de Thérèse qui se cache et tente ainsi de fuir sa triste réalité.
Afin de rendre la monotonie de la vie de la jeune Mme Raquin plus visible, pesante, Carné n'hésite pas à filmer les rues de Lyon, une ville de province, le Rhône que l'on regarde couler aussi lentement que les heures s'écoulent. Son expérience de documentariste permet au réalisateur de faire passer son message en quelques plans plus explicites qu'un long et vain discours.
Le film, sans doute l'un des plus puissants de son auteur, bénéficiera d'un grand succès critique et public.En effet, plus de 2 millions de spectateurs iront admirer le retour de La Signoret dans les salles. Sa qualité lui vaudra le lion d'argent à la Mostra de Venise 1953.