L'affiche de This must be the place met beaucoup en avant Sean Penn (sa tête incroyablement transformée et son nom en rouge, presque aussi gros que le titre du film) ; le scénario offre un rôle formidable à Sean Penn, qui habite littéralement le personnage de Cheyenne ; les critiques du film publiées ici ou ailleurs finissent donc par ne parler que de Sean Penn... En délaissant le propos du film, résumé à l'exubérante histoire d'une rockstar dépressive s'engageant sur les traces d'un criminel nazi qui aurait humilié son père (récemment décédé) durant son séjour en camps de concentration et surtout, en oubliant de replacer ce film de Paolo Sorrentino dans une filmographie qui peut apporter beaucoup des clés de This must be...
Car Sorrentino poursuit avec This must be... une exploration très cohérente d'une thématique qui semble le fasciner : celle des personnages solitaires qui vivent aux frontières de notre société.
Les conséquences de l'amour, qui m'avait beaucoup impressionné, abordait en 2004 les rives de ce continent inexploré en nous dévoilant la vie de cet inconnu que nous avons tous déjà rencontré, qui à l'hôtel, dans un aéroport ou ailleurs, nous étonne par sa présence, son allure et son air décalé qui nous empêchent non seulement de savoir, mais même d'imaginer qui il est, où il va et ce qu'il fait.
Je n'ai pas vu L'ami de la famille, sorti en 2006, et ne pourrais donc en parler, mais la seule lecture du pitch permet de faire le lien avec le propos de cette critique : un personnage laid et insupportable qui se sent seul alors qu'il est entouré par ses proches.
Il Divo, en 2008, prolongeait le voyage dans une autre direction en montrant en faisant de Toni Servillo un homme politique tellement accompli et blasé que le pouvoir et la corruption ont eu raison de tout ce qui le rattachait à la réalité humaine et sociale.
On arrive enfin à This must be... qui raconte en faisant mille détours comment une icône du rock, riche, adulée par ses fans, aimée par son épouse, entourée d'amis, peut malgré tout se sentir brisée par la vanité de son existence, et par la même s'isoler involontairement mais aussi volontairement (par l'aspect physique qu'il s'impose) jusqu'à ce qu'un retour aux sources, avec les rencontres fortes qui l'accompagne, lui offre l'opportunité de dépasser ses angoisses, ses souffrances et ses inhibitions. Et l'amène à opérer la transformation finale presque un peu trop rose bonbon en comparaison de l'ambiance du reste du film.
Le premier problème, qui n'en n'est pas un en réalité, c'est que Sorrentino, ne livre pas ses messages sur un plateau. A l'instar de ses héros, il les inscrits dans les marges, dans les silences et les longueurs qu'il multiplie dans ce film, jusqu'à la limite de l'ennui, mais en fait jamais inutilement.
On peut par ailleurs se demander si l'incursion dans la culture juive américaine, accompagnée de tous ses clichés un peu grillés et l'histoire du criminel nazi étaient bien indispensables et n'auraient pas pu être remplacés par quelque chose de plus crédible.
On peut prétexter que le côté road-movie n'apporte pas grand chose à l'histoire (mais on aurait alors manqué cet indien incroyable que Cheyenne prend en stop sur quelques kilomètres avant qu'il fasse arrêter la voiture sans avoir émis un seul son et s'enfuie à grandes enjambées dans la pampa).
On peut penser que Sorrentino s'égare en ouvrant trop de pistes dont bien peu trouvent une conclusion (l'indien, l'oie, Rachel et son fils, l'avenir de la jeune Mary, le marchand d'armes diabolique, Mordecai Midler...).
Pourtant, un peu comme c'est le cas dans les romans yiddish modernes dont Sorrentino s'inspire peut-être de loin (je pense à Tout est illuminé par exemple), tout ceci et particulièrement les incursions de l'étrange dans la réalité la plus sombre, me semblent des bouffées d'oxygène essentielles pour permettre au spectateur comme au personnage principal de soutenir le poids de la tension dramatique jusqu'à l'heureux dénouement.
Au final, on sort de la salle emplit d'impressions un peu contradictoires mais surtout avec la conviction d'avoir vu un vrai film, celui d'un réalisateur qui a quelque chose à dire et/ou à comprendre et fait du cinéma pour cela, à mille lieux du divertissement éculé que certains espéraient peut-être.