777 777, 77. Non, ce chiffre ne correspond pas aux nombres de modifications apportées par George Lucas à la prélogie Star Wars, c'est plus simplement la hauteur du budget de son premier long-métrage, THX 1138. Première bizarrerie d'une expérience pour le moins singulière, ce premier long découle d'un court-métrage d'étudiant réalisé par le papa de Star Wars dans les années soixante. Financé par son ami, un certain Francis Ford Coppola, dont le chiffre 7 était le chiffre porte-bonheur (d'où le budget), le court devient, sous l'impulsion d'un premier prix au festival du film de fin d'année, une réalisation a part entière.
On est en 1969, Lucas vient d'obtenir son diplôme alors que les États-Unis sont en pleine guerre du Viêt Nam. Le peuple a perdu confiance dans les élites politiques, symbolisées par le très controversé Richard Nixon qui prône un retour législatif à l'ordre et son application. Ce contexte, c'est ce qui va inspirer l'étudiant dans l'élaboration de sa société fictive, futuriste, où l'obsession du contrôle de masse domine comme seul leitmotiv d'une organisation vampirisée par le cybernétique. Budgétisée, sa dystopie prend une forme kafkaïenne où, paradoxalement, le blanc domine comme unité de couleur. Dans la veine d'un H.G Wells, THX emprunte à la science-fiction sociale démocratisée plus tard au cinéma par des œuvres pessimistes comme Soleil Vert, 1984 ou la planète des singes. Ici la population, entièrement chauve, vêtue de blanc, vit sous plusieurs emprises : médicamenteuse, d'une part, à travers la prise quotidienne de sédatifs annihilant la libido pour mieux protéger du danger radioactif du travail à la chaîne. Informatique, par l'omniprésence d'une surveillance robot contrôlant les moindres faits et gestes de ses habitants. Et enfin religieuse, via une croyance monothéiste poussant l'humain à «consommer, consommer» comme les recommandent les nombreux confessionnal automatisés de l'entreprise.
De cette fabrique de robot, THX 1138 (Robert Duvall) en est le salarié, un parmi tant d'autres, mais rêve de liberté, d'émancipation, d'amour, allant jusqu'à s'éprendre, sentiment interdit, de son binôme féminin, LUH 3417. De cet enjeu classique, signature du genre, le metteur en scène tire une vague d'expérimentations où se côtoient diverses tentatives de mises en scène, d'effets sonores, de montages, de dialogues. L'impression d'assister à un court métrage friqué, d'autant plus à l'égard du director's cut de 2007, reste marquant face à cette proposition tenant plus de l'essai que du cinéma de science-fiction.
Ainsi il n'est pas rare, telle la réaction du lambda face à l'art contemporain, d'assister à d'étranges scènes auxquels il est difficile d'émettre un jugement. Un nain poilu pourchassé par un obèse chauve fait parti de ses excentricités. Robert Duvall nu, combattant des robots armés de lances électriques aussi. Tout comme l'apparition de singes au beau milieu d'un parking sous-terrain. Le monde de THX est ainsi fait : il ne comporte aucune logique, est confus, étrange, maladroitement raconté, visuellement inspiré. Techniquement, le malaise est le même, le réalisateur appuie sa mise en scène avec l'idée de tenter toutes les folies, de jouer des sons, des images, des plans, en somme : d'expérimenter. Le résultat est déroutant, les dialogues, par exemple, se font rarement à la visu de leurs auteurs, ils s'entremêlent avec d'autres, celle de fréquences radio, de discussions alentours, de monologues incohérents. Ce brouhaha résonne avec celui du montage, similaire, qui alterne les plans rapides, variés, énigmatiques, cherchant l'absolue singularité à même de rendre crédible cette inquiétante atmosphère . De ces expérimentations naîtra, sept ans plus tard, l'univers de Star Wars, on le se ressent. Et comme toute première œuvre, THX essuie les plâtres, on le ressent aussi. Lucas a toujours été un grand faiseur d'images, de mondes, mais un piètre conteur d'histoires. Il est toujours bon de rappeler qu'il n'a réalisé qu'un seul des trois premiers Star Wars, l'épisode IV. Et qu'il est à l'origine du script d'Indiana Jones 4. Son premier film concentre donc logiquement ces tares : sensation d'insensibilité en tête, le récit dispose d'un mal fou à nous rendre empathique ses personnages principaux. Très, trop expérimental, l’œuvre subit les faiblesses de son amateurisme qui, au sein d'un court métrage, rend le tout sympa et prometteur, mais ennuie une fois prolongé. Le reproche principal ? Ça manque de poésie, d'humour, de (res)sentiment, tout est bien trop sérieux, anxiogène, austère, la dystopie est à ce prix mais ne doit pas pour autant priver le récit de son émotion, de son intensité. Quand Duvall s'évade de son entreprise tout est censé nous donner l'impression de l'adrénaline, que ce soit dans le frisson ou l'excitation. On reste pourtant de marbre face à cette fuite en avant d'une froideur métallique. Dans le même ordre d'idée, une scène d'évasion envoie THX 1138 en plein milieu d'une foule de gens pressés, identiques, lobotomisés. La société de consommation est visée, sa propension à faire de nous des êtres identiques, malléables, consuméristes avec. Rien n'est pourtant approfondi.
"Je voulais montrer que le pouvoir est devenu si fort, si vaste, si bureaucratique qu'on ne peut le localiser. Personne ne sait qui gouverne le système ". explique le cinéaste. On comprend l'intention, son premier long-métrage est paradoxalement trop ambitieux, le résultat ne réside pas à cette hauteur car il comporte toutes les maladresses d'une première fois. Un premier jet pardonnable, donc, mais mal accepté par la Warner, le studio producteur, jugeant le résultat désastreux, impossible à sortir en l'état. De cet échec commercial, désireux d'obtenir son indépendance, Lucas créa sa propre société de production : Lucasfilm. On connaît la suite.