Focus avec Timbuktu sur l'affligeante actualité du djihadisme en Afrique subsaharienne. Césarisé à sept reprises il y a quelques semaines, le film d'Abderrahmane Sissako dresse le portrait d'une Afrique meurtrie par des djihadistes imposant la charia. Il y règne une atmosphère à la fois feutrée par le calme du désert, authentique par les us et coutumes de la population locale, et déchirante par l'arrivée d'une terreur soudaine. La démarche pédagogique, teintée d'allure journalistique, semble évidente et s'attache à une toile de fond politico-religieuse exposée avec délicatesse et perspicacité, la résonance du film n'en étant in fine que plus importante, quoiqu'en décalage par rapport à une réalité plus affreuse encore.
Timbuktu fait défiler un diaporama du pénible quotidien de paysans musulmans, en coexistence avec une guérilla de fanatiques s'adjugeant tous les droits, contredisant même les préceptes d'un Sage et fidèle d'Allah. Cette milice se compose de soldats penauds, maîtrisant à peine l'arabe et obligés de passer à l'anglais pour certains, de jeunes embrigadés bafouillant devant la caméra censée enregistrer leur sermon, en clair tout le contraire d'une élite militaire.
Les habitants de la région sont à l'image de cette gazelle enserrée dans la séquence introductive par un plan minuscule qui la suit comme le ferait le viseur d’un fusil. Une violence plane en silence, arrive lentement et arpente les dunes et les ruelles dans lesquelles la loi islamique règne. Le message contient une puissance générée par des scènes sublimes, notamment celle du match de football sans ballon, ou celle du dialogue à l'entrée de la mosquée entre ce même fidèle d'Allah et un djihadiste.
Le jugement du meurtre d’un pêcheur par un éleveur, venu venger une vache bêtement abattue, forme le cœur sombre et lourd de Timbuktu. Une trame grave et solennelle, portée par un homme dont la pieuse détermination fait ressortir toute la dramaturgie du discours, et par extension de la situation actuelle dans cette zone où est suspendue une spiritualité à deux visages.
Là, où le silence et la simplicité de la vie coexistent, perdure une certaine idée de la piété, parasitée par ces milices intégristes saccageant l'identité culturelle et religieuse de ces ethnies du Sahel. Ce bouleversement retranscrit par Sissako, un peu à la manière d'un "J'accuse" de Zola, ne figure pas seulement matérialiser une simple invitation à la prise de conscience, mais s'avère aussi incarner une poésie de désenchantement d'un monde autrefois paisible.