Désemparés nous sommes devant une œuvre si singulière que Titane au point de nous faire douter de la nature de notre propre espèce. Résolument orienté sur la question du sexe, le film nous emporte d’une scène à l’autre sur un jeu de pistes brouillées prenant le soin de faire évaporer en nous toute réflexion théorique afin de profiter de l’action, pénétrer dans la capsule et se connecter avec la caméra.
A partir de l’impressionnant plan-séquence d’ouverture, nous voilà prisonniers d’un tunnel de sensations fortes sur lesquelles nous reviendrons seulement à la lecture de ces souvenirs que nos rétines n’auront eu de mal à retenir. Car Titane est une décharge que nous encaissons, tant sur le plan purement sensoriel qu’intellectuel. Connaissons-nous notre corps ? Avons-nous les mêmes sensations d’un être à l’autre ? Par quels liens le corps et l’esprit se ficèlent-ils ? Des questions qui peuvent rebondir dans nos petites têtes de caoutchouc, mais qui s’incarnent physiquement dans la salle de cinéma, directement sur les spectateurs, au rythme des sanglots de douleur simulée, de recroquevillements sur les sièges, de crispages de mâchoires, de fermetures de paupières en urgence. Nous sommes tous liés par ces sensations, nous ne savons pas précisément comment les autres les ressentent, mais nous sommes capables de projeter celles des autres sur nous-mêmes. Un corps a la capacité d’imaginer les sensations d’un autre.
Mais si vous n’avez jamais réussi à imaginer une nouvelle couleur, tentez alors d’imaginer une nouvelle douleur… physique ou morale, précisons-le, car le film est la rencontre des deux (Agathe Rousselle et Vincent Lindon). D’ailleurs, y a-t-il une différence entre les deux ? La souffrance sentimentale reste certainement une douleur physique. Ce qui arrive aux deux personnages est un défi d’imagination pour nos fidèles carcasses. Nous sommes tous héritiers de corps semblables les uns aux autres, en apparence seulement. Ce qui fait la beauté de la nature est la différence indiscutable des êtres qui la composent, la singularité absolue de chacun des corps de l’univers. Qui sommes-nous pour prétendre avoir la parfaite compréhension d’autrui ? On repense beaucoup à Grave, notamment sur cette question.
Cette mésaventure que nous suivons, dents sorties et ongles apeurés, n’a de cesse de nous questionner sur notre rapport à la sexualité : par quoi sommes-nous attirés ? Vers quoi éprouvons-nous du désir ? Est-il animal ou construit ? Les yeux écarquillés, nous ne savons pas encore que ces actions nous perturbent profondément. Nous pourrions même éprouver un sentiment de rejet défensif devant ce que nous aimons qualifier d’obscénités en espérant en rester là. Le film pose des bombes ça et là – le soin de son corps (la douche), l’envie de son corps (la voiture) la protection de son corps (le pic), la célébration de son corps (la danse), la destruction de son corps (le nez), l’incompréhension de son corps (l’huile), le déni de son corps (les bandages), la rébellion de son corps (la fin) – le tout menant à une danse qui nous est adressée en contre-plongée du haut d’un camion. En contre-champs : nous et nos questions devant un film qui s’éloigne en nous tournant le dos.
Alors, votre désir, est-il animal ou construit ? Laissons-le être animal, juste pour voir…