Julia Ducournau marque au fer rouge sa place légitime dans le cinéma fantastique français en gagnant sa palme d’or à Cannes avec ce Titane totalement hallucinant dans son approche jusqu’au boutiste. Elle marche clairement sur les traces du body-horror de Cronenberg, tout en traitant, de manière singulière, notre rapport avec la voiture qu’il avait déjà abordé dans Crash, ayant fait d’ailleurs polémique au même festival en 96. Cette filiation transparaît en filigrane tout au long de cette œuvre cinématographique.
La réalisatrice va encore plus loin car ici l’attraction du métal, de la puissance d’un tel engin est bien plus qu’un simple fantasme pour expérimenter une autre façon de faire l’amour. Cette relation dérangeante dépasse largement le rapport qu’avait Arnie avec sa Plymouth Fury 1958 dans Christine dont le clin d’œil est plutôt bien mis en scène avec un éclairage spécifique.
Détournant le cliché machiste de l’homme aimant parfois plus son véhicule que sa propre femme au point de lui consacrer des heures entières pour entretenir un rapport exclusif afin de la façonner comme il désire, le personnage principal féminin va bien plus loin en montrant son attirance et son amour pour ces engins plus fascinants, pour elle, que les hommes. Et cela est expliqué tout au long du métrage. Agathe Rousselle joue très bien l'ambivalence de son personnage, Alexia, tout en assumant son corps et sa féminité mis à mal pendant une bonne partie du film.
Dès le début, les bases de la nouvelle création de Ducournau sont posées en présentant une petite fille, entretenant un rapport étrange pour les voitures que ses parents n’évoqueront jamais avec elle. Difficile de ne pas voir ici, une critique parentale devant le refus d’accepter la différence de son enfant, à travers un comportement dit anormal ou une sexualité qu’ils ne comprennent pas.
Cette attraction pour la voiture va s’accroître par le fait du morceau de titane greffé dans son crâne, suite à un accident, permettant une connexion spécifique avec tout ce qui est fait de métal. Cet aspect transhumaniste donne une certaine modernité au film car, aujourd’hui, l’homme se transforme en machine en étant hyperconnecté avec une technologie liée à la robotique, au point de se faire greffer des implants sous la peau ou des appareillages métalliques pour compenser des organes déficients ou manquants à la suite de blessures ou d’accidents. Comme s’il reniait sa propre humanité faillible en devenant une sorte de cyborg plus efficient que le seul fait d’être un humain ordinaire.
Grâce à cet accident de la route, elle va développer une compétence atypique qui va définir son identité pour le reste du film, tout comme Johnny Smith dans Dead Zone (encore du Cronenberg).
Par la suite, la cinéaste aborde, également, la confusion des genres en transformant son personnage féminin, Alexia, en homme traumatisé et blessé pour fuir les actes qu’elle a commis. Il est, pour elle, impossible d’établir une relation normale avec un homme ou une femme rencontrée par hasard. Cette dernière est justement interprétée par son actrice fétiche, Garance Marillier, révélée au grand public dans Grave, permettant de faire une autre approche des instincts primaires de la femme (et de l'homme) : le sexe, après avoir traité le fait de se nourrir dans le film précité.
La bascule dans le malsain concerne la relation qu’elle va nouer avec Vincent, un chef de caserne de pompiers, voyant en elle, le retour de son fils disparu. Il est évident qu’il n’est jamais arrivé à faire son deuil. Sa relation d’amour paternel est dérangeante car ses gestes semblent inadéquats ou incestueux envers cette femme qui se cache derrière son identité masculine. Lui ne voit que la présence de son fils revenu à la maison, malgré des attitudes qui le surprend car il s’accroche à l’illusion de ne voir qu’un fils perdu depuis trop longtemps. Ce père est, d’ailleurs, interprété par un Vincent Lindon, surprenant en homme brisé, refusant de vieillir, pour rester au top de la forme exigée pour un pompier. Sa présence dans ce registre horrifique me surprend, même si les aspects sociaux développés dans le film ont dû le toucher en tant qu’acteur.
Par cette relation père-fils particulière, la réalisatrice aborde clairement la relation transgenre vécue au travers les yeux d’un parent, adorant par-dessus tout son enfant malgré sa différence, notamment en dévoilant par petite touche tout au long du film l’identité réelle et la transformation du fils prodige retrouvé au père blessé au plus profond de sa chair par cette perte.
Mais là où l’influence de Cronenberg est plus qu’évidente ; c’est au travers de la métamorphose interne d’Alexia, en plus de celle externe, comme dans The fly et, du rapport avec l’évolution de l’humanité, en devenant plus qu’un simple être humain ou la naissance d’un être monstrueux comme dans Chromosome 3. Titane se situe dans la même veine que les meilleurs films horrifiques et dérangeants du cinéaste du Festin nu. Cette relève féminine dans le genre est appréciable car le body-horror avait disparu depuis bien trop longtemps. Ce film ne m’a pas laissé indifférent d’où l’existence de cette critique afin d’essayer de comprendre pourquoi il a eu et continue d’avoir un tel impact sur les spectateurs.
En abordant autant de sujets sensibles et délicats, il était normal que les critiques publiques ou de la presses ne soient pas unanimes. Titane a le mérite d’exister, sans pour autant aller dans la provocation à outrance d’un Gaspar Noé, lors des étreintes sexuelles proposées.
Conclusion :
Avec le succès critique et festivalier inattendu de ce film, Julia Decournau se hisse, ainsi, au même niveau que les maîtres du film d’horreur comme Cronenberg ou Carpenter en proposant des films où les personnages féminins principaux sont aussi intéressants et tourmentés que ces homologues masculins, tout en conservant un style personnel avec une liberté de ton faisant plaisir à voir.
Très peu de femmes ont réussi à se faire une place dans le cinéma d’horreur avec des films devenus cultes : Antonia Bird (Vorace), Mary Harron (American Psycho), Mary Lambert (Les Simetierre), Kathryn Bygelow (Near Dark). Elle entre dans ce cercle très restreint, tout en ayant réitéré l’exploit deux fois d’affilée.
En espérant qu’elle conserve son indépendance et sa créativité pendant très longtemps comme la réalisatrice de Point Break, Strange Days…Clairement, une cinéaste de talent à suivre…