Très frais
Il se trouve qu'en ce moment je travaille dans un cinéma où Tokyo fiancée a été projeté en présence du réal. Honnêtement je ne sais pas si j'aurais été le voir sans ça. J'ai bien aimé Amélie Nothomb...
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le 25 févr. 2015
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Japonaiseries en perspective avec le nouveau film de Stéphane Liberski. En effet, le réalisateur belge nous propose une nouvelle incursion au pays du soleil levant, après le contrepoint contemplatif et paisible développé en parallèle de la trame sombre de Bunker Paradise. Avec Tokyo Fiancée, le cinéaste s’adonne à un nouvel exercice, puisqu’il écrit et réalise ici l’adaptation cinématographique du seizième roman d’Amélie Nothomb, paru en 2007 chez Albin Michel. Œuvre largement autobiographique, Ni d’Ève ni d’Adam est le prologue des pérégrinations ubuesques de l’auteur dans le monde de l’entreprenariat au Japon, exposées dans le roman Stupeur et tremblements publié en 1999 chez le même éditeur. Tokyo Fiancée est né de la rencontre artistique de deux personnalités, de deux auteurs. Son histoire est plus que l’idylle intellectualisée d’un couple où chacun se projette, se joue son cinéma, l’un tombant amoureux de la France et l’autre du Japon. C’est une histoire riche de par sa simplicité, traitée avec moins de légèreté qu’il ne peut y paraître. Elle résonne avec l’écho du sublime Lost in Translation de Sofia Coppola, longue bouffée d’oxygène salutaire dans le cinéma contemporain. Nous voilà prévenus, Tokyo Fiancée se dévoilera par une approche lente, délicate et flâneuse. Et c’est très bien comme ça !
De retour dans un Japon qu’elle quitta malgré elle bien trop tôt, Amélie souhaite fermement vivre la vie nipponne qui lui a été subtilisée par un brutal retour dans sa Belgique Natale. Amélie est japonaise, par défaut, évidement. Écrivain, aussi, ajoute-elle. Amélie veut le Japon, elle l’attend au tournant. Le Japon, quant à lui, semble de prime abord s’offrir à Amélie dans toute sa richesse déconcertante. Pour qui y est étranger, son image fascinante se forme sur le contrepoint d’une « familiarité » couplé avec un « ailleurs » pour citer l’auteur, avec le sentiment persistant de quelque chose qui échappe, qui demeure inaccessible. Tout semble reposer sur des contrastes, entre hyper urbanité bariolée et plénitude minimaliste, tradition déférentes et technologies invasives. Les images sculptées par Hichame Alaouié témoignent d’une parfaite prise de conscience de cette poésie insaisissable, entre le discret et l’ostentatoire, faisant de la photographie un des points forts du film.
Le spectateur est immédiatement invité à se laisser bercer par cette douce alchimie des images, couplée au charme de la jeune comédienne. On a presque envie de s’immiscer dans l’histoire pour pousser plus rapidement Rinri, le jeune japonais apprenti francophone, dans les bras d’Amélie. En lui, elle voit instantanément l’idéal, projetant les désirs et fantasmes de son Japon qui semble lui sourire d’une manière timide, mais prometteuse. L’élève et sa maîtresse, bientôt amants, virevoltent dans des moments évanescents où la caméra ne capte rien de plus évident que l’évolution des êtres. Portée par les compositions du jazzman Casimir Liberski,
digne fils de son père, elle ne filme rien d’extraordinaire, mais elle fait ressentir. Elle n’explicite rien à l’extérieur, parce que tout se déroule à l’intérieur. Amélie rêve.
Mais le Japon ne se laisse pas conquérir si facilement. Rinri n’est pas un Yakuza et Amélie n’est pas une veille écrivaine japonaise. Le choc social et culturel atteint progressivement Amélie. Elle tente de tenir bon, en s’offrant avidement à cette secousse qu’elle a longtemps cherchée. La jeune fille, qui désire aller à la rencontre d’une identité qu’elle pense acquise, fera une expérience qui aura en définitive un caractère initiatique. Amélie est forte, c’est un samouraï. Mais Amélie flotte. Littéralement. Lascive dans son bain, elle glisse, sombre, elle s’égare en apesanteur. Sa résolution inébranlable laisse place à une crise du vide qui survient d’une part face à l’immensité et la profondeur de la culture Japonaise ; d’autre part, face à la passivité et à la gentillesse presque obséquieuse de son amant qui s’empresse de vouloir l’épouser. L’escapade introspective d’Amélie sur les sublimes pentes neigeuses du mont Fuji n’est que la goutte en trop, instant suspendu dans l’espace où les évidences ne peuvent plus se dissimuler. Amélie doute. Elle fait le constat de réalités douloureuses. Celui de la différence et de la solitude, de l’isolement sur la scène de son propre théâtre, ensemble mais seuls. L’altérité s’invite dans le binôme qui se fracture sensiblement. En deçà des façades, les efforts déployés par les protagonistes pour aller à la rencontre de l’autre se révèlent centripèdes, les ramenant chacun vers eux-mêmes. À la candeur cède l’amertume, la mélancolie. Amélie vit le combat ordinaire du voyageur réalisant qu’il n’y a pas de point de fuite salvateur au bout du tunnel, mais bien la réalité de l’existence et du rapport à soi, à l’autre, à l’identité et à ses mutations.
Le choix de Pauline Etienne dans la tâche délicate d’incarner le rôle d’un personnage haut en couleur tel qu’Amélie Nothomb fait globalement mouche. C’est un rôle charnière pour la jeune comédienne, cheminant en parallèle avec son personnage, entre la fantaisie rêvée et le réalisme cru d’une jeune fille qui se met à nu, entière, se livrant alors comme une femme. Le ton mature de son interprétation fait rapidement oublier les quelques inégalités de sa palette de jeu. Pétillante, simple et lumineuse, sa présence feutrée à l’écran est toutefois plus riche et naturelle que sa narration juxtaposant le récit en voix off. Le jeune Taishi Inoue, prometteur, a réussi à séduire le réalisateur lors du laborieux casting et se voit offrir son premier véritable rôle qu’il interprète avec brio.
Stéphane Liberski traite son sujet avec une simplicité bienvenue, sans artifices parasites. Il adopte une narration conjuguant son film à la première personne. C’est un lien tangible avec l’œuvre écrite première. Amélie se raconte au cinéma avec une distanciation qui ne se dépare pas d’un certain humour, faisant honneur au style de Nothomb. Cette recette du second degré est harmonieusement complétée par les seconds rôles, qui, si on regrette leur caractère ponctuel et trop anecdotique, ont toutefois la capacité d’enrichir le récit avec justesse. La maîtrise est le mot qui vient à l’esprit lorsque l’on évoque l’architecture du film. Loin d’être à son coup d’essai
en ce qui concerne l’écriture et la mise en scène, Stéphane Liberski démontre une nouvelle fois l’étendue de son jeu de cartes. Le montage est sobre, suivant une logique chronologique simple. La caméra s’attarde sur des instants riches, loin de s’égarer, elle focalise ces moments avec une précision chirurgicale sans produire de superflu. Ainsi, le cinéaste adopte un ton nuancé et parvient à retranscrire pertinemment la scène où il s’agit de saisir l’instant délicat et évanescent d’une jeune fille qui rencontre sa sexualité, dans un moment d’absence et de détachement imperceptible. On notera également que l’exercice d’exploitation du choc des cultures est périlleux, et qu’il faut s’engager prudemment si l’on veut éviter que le spectre de la caricature de la société nipponne et de ses bizarreries plane sur la qualité du résultat final. Sur ce point Liberski s’en sort avec les honneurs et évite de sombrer dans une exposition à l’arrière-goût obscène. Il laisse ainsi Amélie explorer curieusement différentes facettes insoupçonnées de la ville, guidée par un véritable Tokyoïte, sans porter aucun jugement sur les singularités dont elle est témoin.
Le Japon se découvre à travers le prisme de la vision du monde d’Amélie, (Nothomb, rappelons-le), savoureusement décalée. C’est quand l’apparente légèreté et l’humour déployé par l’auteur laissent place à un espace où l’on devine une expérience personnelle aux accents plus graves que le propos devient intéressant. Sur ce point, il faut avouer que l’on perçoit une rupture dans l’évolution des personnages, qui est d’autant plus inconfortable pour le spectateur qu’elle survient au moment où les enjeux du film pourraient encore gagner en ampleur. À l’image du tournage, interrompu par la catastrophe du tsunami en Mars 2011, le film semble s’interrompre avant de se diriger vers sa conclusion. On pourrait alors regretter une absence réelle de prise de risques pour un artiste connu pour un traitement plus corrosif de sa matière.
Quoi qu’il en soit, une dernière ligne pourrait être proposée en conclusion, celle des films à la première personne qui, dans leur finalité, sont loin d’être nombrilistes et font la part belle au spectateur. La subjectivité assumée des auteurs, si elle affirme que leur personnalité propre est centrale, le fait dans la mesure où toute personne est singulière et importante. L’humilité et la sincérité d’Amélie sont des qualités qui ne lui font défaut à aucun moment du film. Dans ces attitudes, on ne décerne alors aucune position de surplomb mais une main tendue, expression du désir que le cinéma puisse constituer une expérience de vie partagée, enrichissante.
Créée
le 16 mars 2015
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