L’apprentissage du regard, dans un Tokyo fantasmé.
Aller voir un film sans en lire le résumé avant, c’est à double tranchant, surtout lorsque l’on se fie à l’affiche. Si ça n’a pas vraiment été une déception, on peut dire que j’ai été surpris en allant voir Tokyo Park, de Shinji Aoyama. Moi qui étais parti pour une petite balade bucolique et légère dans la capitale japonaise, j’ai en fait été le témoin d’une sorte de psychanalyse collective.
Nous suivons ici Koji, un étudiant qui passe la plus grande partie de sont temps libre dans les parcs de Tokyo, à photographier discrètement les badauds. S’il regarde la vie à travers l’objectif de son appareil argentique, Koji semble incapable d’appréhender ce qu’il se passe autour de lui, et plus particulièrement les personnes qui l’entourent. C’est donc une amusante coïncidence qu’un mari jaloux lui demande à lui, le photographe qui ne voit rien, de suivre sa femme dans les parcs de la ville, et de lui transmettre les clichés. L’apprenti paparazzi troque donc son appareil analogique contre un numérique pour satisfaire son commanditaire. Et à mesure qu’il suit et observe cette femme dont il ne connait rien dans ses balades dans les nombreux jardins tokyoïtes, Koji apprend à découvrir des personnes qu’il a toujours eues à ses côtés, mais qu’il n’a jamais su regarder. Miyu, son excentrique amie et confidente, fascinée par les films de zombies, Misaki, sa demi-sœur au comportement protecteur ou le patron du restaurant dans lequel il travaille le soir, homosexuel et travesti à ses heures perdues. Autant de personnages atypiques qui, à travers un regard neuf, changent complètement de dimension.
Si l’on est tantôt amusé, tantôt séduit par l’environnement dans lequel Koji évolue, c’est un sentiment de malaise qui prédomine dans les deux premiers tiers du film. Cette atmosphère oppressante est crée entre autres, par la relation que les personnages entretiennent avec la mort. La pétillante Miyu en est le parfait exemple, son goût pour le cinéma gore de Romero symbolisant la disparition de son petit ami Hiro, dont elle n’arrive pas à faire le deuil. Quant à Koji, malgré le peu d’importance qu’il prétend accorder à la perte d’une mère photographe qu’il a peu connu, il semble lui vouer une fascination inconsciente en utilisant son vieil appareil argentique, comme un symbole de son regard initial, tourné vers le passé. Et que dire du troublant Hiro, décédé dans des circonstances inconnues, mais qui continue à vivre chez Koji, discutant avec ce dernier de sa condition de mort. Cette ambiance malsaine offre un contraste intéressant avec le parcours initiatique du héros apprenant à voir avec ses yeux, ce qui va lui permettre d’expérimenter l’amour avec sa demi-sœur lors d’une scène de photographie saisissante d’intensité (magnifique Manami Konishi). Et comme à la fin de tout parcours initiatique qui se respecte, Koji va pouvoir transmettre ce qu’il a appris, permettant au mari suspicieux de trouver sa voie, révélant la clé des déplacements incessants de sa femme dans les parcs d’un Tokyo fantasmé.
Et c’est d’ailleurs peut-être ce qui m’a le plus plu dans le film d’Aoyama, cette vision d’une capitale japonaise magnifiée par ses bouts de nature en plein cœur de la ville, loin des immenses tours illuminées et des quartiers bouillonnants habituellement représentés. Si les va-et-vient dans les parcs, ports et îles permettent à Koji d’apprendre à regarder, elles sont pour le spectateur une grande bouffée d’oxygène, le libérant du monde oppressant dans lequel il a été précédemment immergé.
Malgré tout, Tokyo Park souffre d’un rythme très lent, d’une mise en scène parfois maladroite et d’une fin à mon sens bancale. On pourra également regretter de ne pas avoir vu plus de ces parcs de Tokyo. Il est donc difficile d’être pleinement satisfait.
Le film n’en reste pas moins une œuvre à découvrir et à conseiller à tous les amateurs d’ambiances spéciales, ou à ceux qui veulent découvrir Tokyo sous un tout nouveau jour !