Kiyoshi Kurosawa est un réalisateur japonais né en 1955. Il a réalisé une quinzaine de films depuis son premier succès Cure en 1997, thriller fantastique où l'acte de tuer semble s'attraper comme un virus. Ce sont autant de films qui explore la noirceur de l'âme humaine en rejouant avec finesse les codes du thriller et du fantastique.
En 2007, il réalise Rétribution, film où des corps remplis d'eau salée côtoient le surnaturel. Comme à son habitude, Kurosawa filme des lieux presque désertiques, des infrastructures abandonnées. L'image est gorgée de rouille et d'eau stagnante. Les personnages semblent perdu dans une esthétique surannée et errent dans ces chantiers et ces villes dépeuplées. L'année suivante, il délaisse le macabre et réalise Tokyo Sonata, un drame familiale citadin de 2h. C'est un film qui marque une évolution dans la filmographie du réalisateur en changeant radicalement de genre.
Tokyo Sonata c'est l'histoire d'une famille :
Ryûhei Sasaki se fait licencié d'un confortable travail de bureau mais ne le dit pas à sa famille, il passe son temps à errer à la recherche d'un autre emploi. Megumi Sasaki, la mère, se retrouve confrontée à un étrange cambrioleur. Takshi Sasaki est le fils aîné, il a soif d'aventures et s'engage dans l'armée américaine. Kenji Sasaki est le fils cadet, il se découvre l'envie d'apprendre le piano mais son père lui refuse cette voie.
C'est un film maitrisé et sobre mais qui s'avère éprouvant. Les parcours des personnages s'entrecroisent sans la moindre respiration, le spectateur reste comme confiné dans les tensions de cette famille en proie à la honte, à la frustration, à la déception et à l'ennui. Ce sentiment d'étouffement que l'on peut ressentir n'est pas laissé au hasard, il est imposé avec force par le réalisateur qui semble saisir avec perfection les désordres d'une classe moyenne qui se débat dans les difficultés de nos sociétés modernes.
Avant ce film, Kurosawa travaillait les codes de l'angoisse, que ce soit via le thriller et l'assouvissement d'une violence, d'une pulsion soudaine et meurtrière ; ou que ce soit via le fantastique et le spectre. Avec Tokyo Sonata, Kurosawa instaure un climat angoissant et étouffant mais cette angoisse demeure à jamais insaisissable, elle suinte de cette honte mêlée de frustration que ressentent les personnages.
Finalement, la dernière scène "libère" le spectateur, lui retire cette angoisse comme elle la retire de ses personnages. Kenji Sasaki joue en auditorium devant ses parents la sonate dite au clair de lune de Debussy, Kurosawa filme avec douceur, la salle est baignée de soleil, il laisse traîner sa caméra en spectatrice de ce moment, le vent faisant étrangement danser les rideaux pâles de l'auditorium, les spectateurs se rassemblent de plus en plus et le morceau se termine, les parents rentrent dans le champ et vont doucement chercher leur fils. Ils sont sur la scène d'un théâtre, on les regarde sortir et pendant un temps le plan n'est plus composé que de ce piano déserté et de ce public amassé qui suit du regard la famille maintenant invisible jusqu'à presque rencontrer notre regard à nous, et c'est la fin.
C'est un film maitrisé de bout en bout propre à bouleverser. La construction d'une échappée possible, où l'art peut encore enchanter et élever l'individu malgré les difficultés et les frustrations qu'il peut rencontrer.
Si Kurosawa fait évoluer son cinéma, ça n'est que formellement. Les thématiques restent les mêmes : on parle d'errance, de solitude, de deuil.. Et si ses films de fantômes montrent des corps qui disparaissent petit à petit en errant ça et là, Tokyo Sonata montre les membres d'une famille qui errent dans la ville.


https://laculturedepuissaturne.fr/

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le 31 août 2021

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