Je n’ai jamais vu de films de Sono Sion, je commence tout juste à m’intéresser au bonhomme, j’ai juste profité du festival qui m’avait fait découvrir Miike pour tenter l’aventure.
Je n’aime pas le rap. Mais genre, j’ai vraiment du mal. Attention, pas le rap gentillet des tubes pop de sexion d’assaut et ses dérivés (« Hey, c’est l’Amore, c’est une mise à mort, hey » -je vous laisse décortiquer cette rime de 4e…), mais le rap un peu plus harcdcore qui te délivre des messages moins babtou fragile sur du flow plus ou moins haché avec une beatbox sans violon. Pour que je puisse en écouter plus de 10 secondes, faut me mettre des guitares et s’appeler RATM.

Cette confession, c’est juste pour que vous compreniez mon appréhension face à Sono Sion qui vient vous présenter son film comme « une comédie musicale rap » DE 2 HEURES.

Force est de constater que le réalisateur ne ment pas: le film, c’est vraiment ça.
2 heures de rappeurs qui lâchent leur flow comme une princesse Disney te décrit son petit déj’ enchanté du matin en ré mineur, dans un univers grotesque assumé (adaptation de manga oblige). Situation qui pourrait être très vite rédhibitoire, surtout si on y ajoute le gène du surjeu contenu dans l’ADN de tout acteur japonais d’adaptation live de manga/anime.

Une des bonnes surprises du film, c’est que ça passe relativement bien et que le phrasé du casting est fluide, ce qui est vraiment surprenant de prime abord, et qu’ajouté à tout l’univers sonore du film très en phase avec le propos (du gros son par moments, jusque parfois du beat à saturation à d’autres ), cela renforce la cohérence de ce qui est construit autour du rap. Le réalisateur a communiqué après le visionnage du film un élément important concernant ses acteurs : la majeure partie du casting est rappeur/rappeuse ou vient de la rue, ce qui permet d’asseoir une vraie crédibilité dans les personnages lorsqu’ils doivent s’exprimer. A posteriori, c’est une évidente très bonne idée. Du coup, les seuls à trop surjouer… ce sont les « vrais » acteurs (vous les reconnaitrez vite).

Si le film n’avait que le son pour tenter de séduire, j’en aurais vite eu ma claque. Simplement non, Sono Sion débute son film avec un plan séquence assez impressionnant, focalisé sur un personnage narrateur qui reviendra de temps en temps dans le film recentrer un peu l’intrigue, certes mince. Et comme dans tout film de gangs, Sono Sion nous fait une scène d’exposition des forces en présence. Si la première scène ne vous a pas convaincu d’emblée de son talent de mise en scène, il enchaîne pour vous plonger direct dans le film en cette seule séquence d’exposition. Pour essayer de résumer : cartographie de la répartition des gangs dans Tokyo en caressant au couteau le torse non consentant d’une fliquette et son plan nichon avec un univers visuel différent pour chaque crew. Ta suspension d’incrédulité a déjà signé et lance un kickstarter à la gloire de Sono Sion.

Le film regorge d’indentifications esthétiques et de plans séquence qui en font plus qu’un film de rappeurs en mal de gnons. D’autant qu’on a souvent des ruptures volontaires de rythme, des ellipses brutales parfois déroutantes pour qui s’attend à une narration guidée et classique. Je ne sais pas si c’est à mettre au crédit seul du réalisateur ou si c’est dû au manga (que je n’ai pas lu), mais cela a au moins l‘intérêt d’être totalement assumé et annoncé et de ne pas faire sortir le spectateur du film.
Le narrateur apparu au premier plan séquence a une importance non négligeable sur l’adhésion au métrage : il ne prend pas part au cœur de l’intrigue, mais est clairement identifié comme notre guide dans le conflit puisqu’il rappe dans notre direction et qu’il n'est finalement acteur mineur dans le conflit. Sono Sion brise intelligemment le 4e mur : ce narrateur devient notre relais d’information, non pas comme un journaliste mais plus comme un indic’ de flic, avec la complicité qui va avec.

Entendons-nous bien, le propos du film est léger, de l’aveu même du réalisateur. Il est clairement calibré pour l’entertainment, avec un nombre impressionnant de plans culottes qui a dû lui être imposé par le syndicat japonais des producteurs d’actrices juvéniles de films live. Les « vrais » acteurs cabotinent comme dans une série B (Z ?), l’humour n’est en rien subtil et les combats sont honnêtes (big up en revanche au « chevalier » blanc). La philosophie du propos est quasi-inexistante, et la motivation du bad guy est des plus ridicules. Les amateurs de Sono Sion y trouveront peut-être des thèmes connus en filigrane, mais la double lecture est loin d’être le but du métrage.

Cependant, en considérant l’objet en tant que tel (une comédie musicale de rap de 2 heures), c’est une réussite et vaut largement le coup d’œil et une oreille attentive. C’est assez rare de voir proposer un tel pari (que ce soit visuel ou sonore) sur un matériau de base aussi banal.
Bref, Sono Sion a réussi à me faire supporter 2 heures de rap au cinéma.
Et j’ai apprécié.
L’enfoiré.
T_a_n_u_k_i
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le 10 sept. 2014

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T_a_n_u_k_i

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