Dès les premières secondes, les couleurs et l'ambiance ont quelque chose d'éminemment moderne bien que le scénario soit ancré dans la société allemande des années 70. Cela va se confirmer dans le partage des émotions : même s'il y a quelque chose de très théâtral dans le jeu, les émotions sont beaucoup plus verbalisées que dans les films que je connais de cette époque. L'exposition de la critique sociale est assez directe et lisible : les stéréotypes du rejet des voisins, des commerçants, de sa famille, des collègues, le conflit de valeurs que ça suscite chez les autres...
La passion, quant à elle, me semble assez contemplative. Comme si les personnages ne ressentaient pas mais observaient leur ressenti, c'est toujours assez distant ça donne une ambiance bizarre mais assez agréable.
J'ai beaucoup aimé les plans "tableaux" : de loin encadrés par les portes, comme enfermés et figés dans le temps, que ce soit d'Ali et Emmi ou d'Ali avec la serveuse blonde. Ces plans sont très impersonnels aussi donc ont une valeur universelle (je le ramène partout mais comme les tableaux d'Edward Hopper). Cette immuabilité est aussi celle de la solitude ressentie par les personnages et qui les accompagnent partout. Pour cette raison ça m'a aussi fait penser à Lost in Translation, avec la différence d'âge, la rencontre fortuite et interculturelle, et le partage de solitude qui s'ensuit.
Concernant le couple, on sent à quel point l'adversité est fragilisante, ça les oblige à se justifier, ce qui n'est pas le cas pour les autres relations, donc ils doivent être plus forts. Mais malheureusement cette force ne reste pas équilibrée. En effet, vu le thème de l'exclusion sociale, on perçoit diverses dynamiques de pouvoir (cette fois très nuancées) : les femmes de ménage qui sont payées peu et inégalement, le gendre d'Emmi complètement macho et sa femme Krista qui se défend comme elle peut, et Emmi elle-même dans l'évolution de sa manière de traiter Ali. Je trouve que c'est vraiment le point le plus triste du film, qu'elle commence à lui donner des ordres, à lui dire de s'adapter à l'Allemagne, à le voir comme un trophée physique même si c'est inconscient, et à elle même exclure la nouvelle collègue yougoslave.
À la fin Emmi a une réplique du genre "on doit être bon l'un pour l'autre sinon vivre ne vaut pas la peine" et j'ai l'impression que cette conclusion de "couche avec qui tu veux tant qu'on est ensemble et qu'on s'aime" est très moderne avec la séparation amour/sexe. Il y a une réelle fluidité des relations, comme la serveuse qui dort avec Ali quand il veut mais qui ne demande rien de plus (elle aussi a l'air très seule).
Je suis moins convaincue par la fin, la scène en miroir avec la toute première (quand Emmi rentre dans le bar, commande un Coca et qu'ils se mettent à danser) fait très mis en scène mais ça fonctionne, par contre qu'il ait une attaque pile à ce moment-là c'est assez brusque comme dénouement.