À cette époque, Almodóvar avait déjà fait du chemin. Avec Femmes au bord de la crise de nerfs, Attache-moi ! ou encore Talons Aiguilles, le cinéaste s’était déjà fait une belle réputation, avec des films souvent débridés, colorés et loufoques. Tout sur ma mère, quant à lui, suit une trajectoire toute autre, explorant un registre bien plus dramatique et grave. Le début du film a pourtant quelque chose de très doux, affectueux, mais la rapide intervention d’une tragédie assomme le spectateur et modifie radicalement la dynamique sur laquelle se lançait le film d’Almodóvar. Pour Manuela, l’héroïne du film, c’est l’heure de se reconstruire, de retracer le chemin de sa vie pour repartir de l’avant, et, pour nous, l’opportunité de prendre un chemin qui, à travers le portrait de cette femme, va nous faire vivre de belles rencontres.
Tout sur ma mère est un film de personnages. Comme souvent chez Almodóvar, un soin particulier est pris dans leur écriture, avec une capacité certaine à leur donner du relief, une personnalité singulière et identifiable afin de leur permettre d’offrir une contribution spéciale au film. Autre élément récurrent chez le cinéaste espagnol, c’est la prééminence de personnages féminins, omniprésents dans le film, au point que certaines femmes du films étaient nées hommes. Tout sur ma mère permet à toutes ces femmes d'horizons divers de s’exprimer, de se rencontrer, d’échanger et de montrer leur dignité et leur courage face aux épreuves qu’elles ont vécu. Almodóvar a une sensibilité très féminine, qui lui permet de comprendre les femmes, mais aussi de nous les faire comprendre.
Tous ces personnages permettent au film de développer ses principales thématiques, que sont le deuil, la reconstruction et le cycle de la vie. Pour Manuela, le deuil ne peut être achevé qu’en suivant un des rêves de son fils, et en renouant avec son passé pour, potentiellement, faire table rase. Après tout, ce qui nous constitue est issu du passé, et c’est ce que l’on constate devant Tout sur ma mère. Chaque personnage, qu’il s’agisse de Rosa, qui oeuvre au service des autres, d’Huma Rojo, la célèbre actrice, ou d’Agrado, la femme libérée au grand cœur mais devant se prostituer pour survire, semble faire écho à une part ou à une période de la vie de Manuela. Quelque part, elles personnifient un trait de caractère, ou une composante de la personne de Manuela, rendant chacune d’entre elle bien vivante, et lui donner beaucoup de relief.
Almodóvar nous touche avec ce drame émouvant et sincère, montrant toute la capacité du cinéaste espagnol à briller dans la légèreté et la folie douce, mais aussi dans la gravité, une gravité qui reste belle, poétique, presque douce, et qui ne s’appesantit jamais. C’est un exemple d’abnégation, la reconnaissance de laissées pour compte dont la dignité surpasse largement la réputation que la société leur confère. Tout sur ma mère est, en définitive, un film douloureux, éreintant, beau, mais surtout un vibrant hommage aux femmes de nos vies.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art