Toute la beauté et le sang versé est un documentaire d’une densité impressionnante, une plongée passionnante dans la vie tumultueuse, l’œuvre foisonnante et les combats de l’artiste Nan Goldin.
Un contenu qui se décline sur deux temporalités, deux histoires dont la photographe est l’héroïnes et qui finiront par se répondre. En fil rouge, on suit le quotidien de Nan Goldin la lanceuse d’alerte, victime de la crise des opioïdes dont elle s’est miraculeusement sortie. Elle traque sans relâche la famille milliardaire Sackler, dont l’entreprise pharmaceutique a introduit l’oxycontin sur le marché américain en cachant sa nocivité, un anti-douleur ultra addictif désormais à l’origine de plus de 100 000 décès par an. En parallèle, Toute la beauté… retrace le parcours de Nan Goldin l’artiste, dont on réalise progressivement à quel point il aura nourri sa lutte actuelle. Le film fait des allers-retours entre ses actions pour tenter de retirer le nom Sackler des murs des musées qu’ils ont subventionnés (Met, Louvres, Guggenheim) et son parcours cabossé mais prolifique de femme et d’artiste. A travers de nombreuses images d’archive, le documentaire retrace son enfance meurtrie par le suicide de sa sœur et la distance de ses parents, puis évoque sa vie de jeune femme dans un New-York underground au cœur d’une communauté queer et drag qui commence à émerger et à revendiquer une visibilité jusque-là interdite, ou encore ses brèves années en tant que travailleuse du sexe. Sa vie se confond avec son art, ses photos sont autant de témoignages qui auront d’autant plus de poids et de sens lorsque l’épidémie du sida viendra décimer son cercle d’amis. Son œuvre prendra alors un tour réellement militant et sa proximité avec le mouvement AIDS l’aura sans doute encouragé à mener son combat contre les Sackler.
Toute la beauté est remarquablement bien construit. Le montage est simple, mais parvient très intelligemment à montrer à quel point le parcours artistique de Nan Goldin éclaire son activisme récent. En point d’orgue, une confrontation par écrans interposés entre les victimes de l’oxy et des membres de la famille Sackler. Edifiant. En cela, le film complète parfaitement l’excellente série Dopesick, qui décrit avec puissance et vérité les ravages de l’oxycontin et l’hécatombe que son introduction a provoqué aux USA tout en affichant clairement la responsabilité des Sackler, qui ont sciemment menti sur la dangerosité de leur produit par cupidité.
Liant l’intime et le politique, Toute la beauté et le sang versé choque, passionne et fascine. Un combat à la David contre Goliath que vient nourrir le récit d’une vie d’artiste intransigeante et les stigmas d’un drame familial. Un Lion d’or à Venise amplement mérité.