Et ils ont une âme !
Je n'avais pas vu les précédents, mais là je dois dire que j'ai positivement adoré ce nouveau Pixar, époustouflant de créativité, bourré de trouvailles et d'humour : on s'émerveille, on rit, on...
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le 6 déc. 2011
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Mon attachement à Toy Story 3 n’est pas fortuit. Ce n’est pas seulement mon Pixar préféré : c’est une réelle réflexion sur le temps, l’abandon et la transmission. Lors de sa sortie en 2010, ce troisième volet tant attendu a conclu une trilogie qui, en quinze ans, n’a cessé d’accompagner et d’évoluer avec son public. Et si cette attente fut si marquante, c’est que Toy Story 3 ne se contente pas d’être un simple épisode final (avant qu'un quatrième volet naisse) : il est un condensé d’émotions, d’inventivité et de virtuosité qui transcende la simple aventure pour atteindre des sommets de narration et de profondeur.
Il est fascinant de constater que la querelle entre Pixar et Disney, initialement perçue comme un frein, s’est révélée être l’un des plus grands atouts de Toy Story 3. Ces onze années d’attente ont permis aux deux premiers volets de se bonifier dans l’imaginaire collectif, d’ancrer leurs personnages et leur univers dans le cœur d’une génération entière. En prenant le temps, Toy Story 3 a su capter cette nostalgie et la magnifier : pour beaucoup, Andy grandit avec eux, et la relation entre les jouets et leur propriétaire devient un miroir de leur propre rapport à l’enfance.
La force du film réside dans cette double lecture : il parle aussi bien aux enfants émerveillés qu’aux adultes désormais confrontés au poids du temps. Tout, dès les premières notes de « Je suis ton ami », nous replonge dans nos souvenirs, mais sans jamais céder à une nostalgie facile ou artificielle.
Contrairement aux deux premiers volets, Toy Story 3 introduit une dimension inédite : l’inquiétude. Nos héros, autrefois guidés par une certitude héroïque, évoluent désormais dans un monde instable et menaçant. La garderie, présentée comme un refuge idéal, s’avère un univers carcéral, dominé par une hiérarchie oppressive. Les enfants eux-mêmes, jadis source de vie et de joie, deviennent ici des tortionnaires inconscients. Cette descente progressive dans un monde plus sombre culmine avec l’introduction de Lotso, un antagoniste dont la cruauté est alimentée par un passé déchirant. Oui, il faut parler de cet antagoniste parfaitement trouvé. Lotso est sans doute l’un des antagonistes les plus fascinants et complexes jamais créés par Pixar. Derrière son apparence trompeuse de nounours rose et pelucheux, qui dégage initialement une douceur et une chaleur presque rassurantes, se cache un personnage marqué par une histoire tragique et un traumatisme qui ont forgé sa vision du monde.
Ce qui rend Lotso si intéressant, c’est qu’il n’est pas simplement un "méchant" caricatural. Son passé, révélé avec parcimonie, nous éclaire sur les blessures profondes qui l’ont poussé à devenir le leader impitoyable de la garderie Sunnyside. Abandonné par sa propriétaire Daisy – un abandon qui, dans son esprit, se teinte d’un sentiment de trahison irréparable – Lotso est devenu l’incarnation même de la colère et de la rancune. Ce moment où il découvre qu’il a été remplacé par un autre ours en peluche, identique à lui, est déchirant : il ne s’agit pas seulement d’être oublié, mais de réaliser que son existence peut être réduite à une simple fonction, interchangeable et jetable.
Cette blessure influe sur tout ce qu’il est et tout ce qu’il fait. Incapable de surmonter sa douleur, Lotso transforme cette expérience personnelle en une philosophie universelle et cynique : "Les jouets sont faits pour être utilisés, puis jetés." Sa gestion de Sunnyside n’est rien de moins qu’une projection de son propre désespoir : il impose aux autres jouets une hiérarchie brutale et déséquilibrée, où les anciens dominent et exploitent les nouveaux venus. Sunnyside, sous sa gouverne, devient une métaphore de sa propre désillusion : un lieu où l’espoir est un mirage et où le bonheur est systématiquement étouffé.
Mais ce qui rend Lotso encore plus tragique, c’est qu’il est incapable de reconnaître que son malheur vient d’un choix qu’il a fait : celui de ne plus faire confiance, de ne plus aimer. En choisissant de rester dans sa colère, il se condamne à une existence froide et solitaire. Lorsqu’il rejette la main tendue par Woody et les autres à la fin, en refusant d’appuyer sur le bouton qui aurait pu les sauver, il signe sa propre sentence. Son incapacité à dépasser sa douleur le transforme en un tyran aveuglé par sa propre souffrance.
Lotso est un miroir sombre tendu au spectateur, mais aussi aux autres jouets de l’histoire. Contrairement à Woody ou Jessie, qui apprennent à accepter leur passé et à avancer, Lotso reste figé dans son traumatisme. Il est l’antithèse de ce que représente Toy Story : là où les autres jouets trouvent dans leur amitié et leur solidarité une raison d’être, Lotso, lui, s’enferme dans une spirale d’amertume.
Lotso n’est pas seulement un méchant. Il est une mise en garde, une leçon sur ce que peut devenir quelqu’un qui se laisse submerger par la douleur sans chercher à la transcender. Son histoire nous rappelle que, pour avancer, il ne suffit pas de survivre à une blessure ; il faut aussi avoir la force de pardonner, d’aimer à nouveau, et de croire en quelque chose de plus grand que soi. Ce que Lotso n’a jamais pu faire, et ce qui le condamne, finalement, à une solitude plus cruelle encore que son abandon initial. Les jouets sont confrontés non seulement à la perte de leur but, mais aussi à une lutte pour leur survie. Pixar mêle habilement l’humour et la gravité, alternant les moments de légèreté – comme le délirant Buzz en mode espagnol – avec des scènes d’une intensité dramatique poignante.
C’est cette tension entre la lumière et l’ombre qui rend Toy Story 3 si intense. Chaque décision, chaque moment est empreint de gravité, jusqu’à remettre en question le destin même des personnages. Ce moment où Woody, héros intrépide et infatigable, finit par abandonner, est déchirant. Le personnage qui, pendant trois volets, a incarné la résilience, baisse les bras pour la première fois. Oui, c’est dans la scène de l’incinérateur que Toy Story 3 atteint son paroxysme émotionnel. Cette séquence est l’un des sommets du film, une véritable prouesse narrative et visuelle qui, à chaque visionnage, me donne des frissons. Tout y est parfaitement orchestré : la musique oppressante, les tons rougeoyants qui inondent l’écran, la lente montée en tension. Nous voyons nos héros, d’abord déterminés à se battre contre le tapis roulant mécanique qui les entraîne vers leur perte, peu à peu abandonner toute résistance. Chacun des personnages, tour à tour, comprend l’inéluctable. Et c’est Woody, ce leader infatigable, ce pilier du groupe qui, lui aussi, finit par céder. Ce moment est un coup de massue. Voir Woody, le héros intrépide, baisser les bras, m’a profondément bouleversé. Tout au long des trois films, Woody est celui qui prend les décisions difficiles, qui motive les autres et trouve toujours une solution. Mais ici, il n’y a plus de plan, plus de discours galvanisant. Il baisse les yeux, regarde ses amis, et accepte leur sort. Ce simple geste, lorsqu’il rejoint le cercle formé par les autres, main dans la main, symbolise un abandon à la fois déchirant et sublime. Chaque regard échangé entre les jouets en dit long : une solidarité silencieuse face à une mort inévitable.
La chaleur des flammes se reflète dans leurs yeux, et pour un instant, on y croit vraiment. Je me souviens avoir retenu mon souffle, persuadé que c’était la fin, que Pixar avait osé aller jusqu’au bout. Ce n’était pas simplement une scène de tension dramatique ; c’était une plongée dans l’abîme, une confrontation directe avec la peur de perdre ce qui nous est cher. La musique amplifie ce sentiment d’impuissance, avec des notes sombres et lentes qui s’élèvent alors que les flammes se rapprochent inexorablement.
Et puis, au dernier moment, vient le salut. Un deus ex machina qui, loin de diminuer l’impact de la scène, le rend presque plus poignant. Car ce moment, cette main tendue par les petits extraterrestres pour sauver nos héros, est un rappel de ce qu’est véritablement Toy Story : une histoire d’amitié, de solidarité et d’espoir, même dans les moments les plus sombres.
Si cette scène bouleversante symbolise la mort, le final apporte la lumière : un passage de flambeau, un adieu aussi simple que parfait. La sobriété avec laquelle Andy confie ses jouets à Bonnie, les décrivant un à un avec tendresse, est un écho direct à nos propres souvenirs d’enfance. Cette scène n’est pas seulement un au revoir : elle est une transmission. Andy laisse une part de lui-même à Bonnie.
Si Toy Story 3 est un chef-d’œuvre, c’est parce qu’il ne se contente pas d’être un film d’animation brillant. Il est une leçon sur l’attachement, la perte, et le passage du temps. Il nous rappelle que, même si certaines pages doivent se tourner, les souvenirs et les liens créés restent indélébiles. Aujourd’hui encore, Toy Story 3 continue de briller comme une œuvre magistrale, une ode à l’enfance et à ce que nous laissons derrière nous en grandissant.
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Créée
le 24 janv. 2025
Critique lue 3 fois
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