Trap
5.5
Trap

Film de M. Night Shyamalan (2024)

Un nouveau M. Night Shyamalan est toujours dans ces colonnes un événement, mais Trap, avec son trailer ultra séduisant et son retour à un budget plus conséquent redoublait nos attentes. Les affiches annoncent une nouvelle « expérience Shyamalan », et il faut dire que c’est à cela qu’on assiste, à plus d’un titre. De son pitch improbable à ses défis de mise en scène, ce nouveau long-métrage semble être une somme de petits défis expérimentaux, dont on est obligés de voir les limites tout comme les fruits étranges et saisissants dont lui seul a le secret.

A la fin de Knock at the Cabin (2023), dernier Shyamalan en date, un père et sa fille, écoutant leur tube favori, s’éloignaient en voiture d’une apocalypse évitée de justesse. Trap semble commencer sur une image similaire, la fin du monde en moins, a priori : de nouveau un père et sa fille, de nouveau un tube, cette fois plus pop et adolescent, envahissant les hauts-parleurs de la voiture. Mais cette fois, la petite famille ne communie pas autour de cette chanson. La jeune fille chante toute seule, et ils ne sont jamais dans le même plan. D’emblée, le découpage les sépare. Il faut dire que M. Night Shyamalan rend particulièrement difficile la réconciliation familiale qui est souvent l’horizon de ses intrigues. Ce n’est plus un secret depuis le premier trailer, le père au volant de cette voiture, qui emmène sa fille à un concert de sa star pop préférée, est un ignoble serial killer : le terrifiant boucher, qui découpe ses victimes en rondelles. Pourtant, ce qui sépare les deux personnages semble plus précis, plus étrange, et cela passe par la mise en scène. Dans ce véhicule, ils ne sont jamais dans le même plan. Pendant tout l’avant puis le début du concert, la jeune fille a le regard rivé vers sa star, ou sa promesse, quand elle l’attend à la sortie de son bus dehors ou avant qu’elle ne monte sur scène. Le père, lui, ne cesse d’épier étrangement tous les angles de la salle, toutes les étrangetés aux alentours, et en particulier, une sur-mobilisation policière. Même si ce film-annonce très réussi nous avait follement excités, il faut bien dire qu’une fois encore on envie nos amis capables de ne pas les regarder tant on aime ces premières minutes mystérieuses et tendues, où on ne sait pas ce qui anime ce regard inquiet du personnage vers tous ces flics. Toutes les hypothèses sont un temps valables. On redoute une attaque ? Un attentat ? Le spectateur non averti découvrira finalement la vérité peu de temps plus tard : la police sait que le boucher se trouve dans la salle et lui tend un piège. Trap mute alors en une sorte de survival très étrange, du point de vue de ce serial killer, cherchant le meilleur moyen pour sortir sans être attrapé. Si séduisant et amusant que soit ce pitch, ce qui frappe d’emblée c’est son impossibilité radicale. Pour le dire grossièrement, une police qui aurait cette idée-là serait la plus bête du monde. Sans parler de ce vendeur de tee-shirts dévoilant tout ce plan à notre protagoniste, uniquement parce que ce dernier présente bien, est pompier, et qu’il est poli. Faire la liste de toutes les invraisemblances du scénario et les raccourcis pour accréditer la possibilité d’un tel dispositif serait fastidieux et inutile, d’autant que Shyamalan – et c’est malgré tout une déception – s’en moque, ou plutôt, semble le revendiquer. Bien sûr, en temps normal, il ferait preuve par endroits d’un peu moins de désinvolture. Par exemple, jamais il n’avait à ce point sous-écrit un antagoniste, avec cette enquêtrice restant totalement subalterne, conventionnelle. Il assume ici une forme de thriller dont il faut d’emblée accepter une convention fondamentale, de laquelle en découleraient toute une série d’autres. Il faut prendre l’accroche de l’affiche au pied de la lettre : l’expérience Shyamalan est une expérience de pensée, et donc une expérience de mise en scène. Et si, quand bien même ça n’aurait aucun sens, la police décidait d’attraper un tueur dans un concert de masse ? Comment cela se passerait-il ?

A bien y réfléchir, cela fait au moins trois fois d’affilée que l’auteur de Old (2021) joue cette petite partition expérimentale, ouvertement mineure. Mais c’est peut-être la première fois où il faut à ce point accepter les conventions du récit pour rester concentré sur le brio de sa mise en scène. Aussi, les expériences d’Old et Knock at the Cabin semblaient, du moins de prime abord, viser plus haut qu’un simple – en grossissant le trait – escape game (d’un côté, la possibilité d’une vie en accélérée, de l’autre l’empêchement de la fin du monde par un sacrifice familial). On peut être déçu de ces facilités narratives de la part d’un auteur qui a écrit les plus beaux scénarios des années 2000. Dans cette salle de concert, certes, les couloirs sont toujours bondés du début à la fin, la surveillance est très aléatoire, et des personnages silhouettes donnent des informations capitales à la pelle. Il ne faut pas oublier pour autant que les récits les plus brillants de l’auteur faisaient admettre des idées improbables dans le pacte de croyance qu’ils instauraient. Pour n’en citer qu’une, issue de de son plus beau film, Signes (2002) : n’est-il pas un peu aberrant que des aliens ne supportant pas l’eau aient choisi la Terre comme nouvel habitat ? La question peut être légitime pour certains, mais elle est à mon sens très vite rendue caduque par la puissance d’un climax bouleversant qui voyait les personnages sauvés par le TOC d’une enfant et tous les verres remplis d’eau qu’elle ne cesse de laisser trainer partout dans son habitat. Ce sont peut-être moins les conventions à accepter qui sont gênantes dans Trap que leur apport dans la fiction. Ici, il est moins émotionnel, touchant, que servant un petit jeu de chat et de la souris, certes souvent jubilatoire, néanmoins peut-être limité de la part d’un aussi grand cinéaste.


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PjeraZana
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le 2 sept. 2024

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