Étrange objet cinématographique que ce Trap Street. Après le grandiose A Touch of Sin de Jia Zhangke et le surprenant Black Coal de Yi’nan Diao, c’est le troisième film noir chinois engagé qui nous arrive en à peine un an. Difficile de parler de nouvelle vague, la période est trop courte pour se faire une idée d’ensemble, mais les trois productions touchent les mêmes thèmes récurrents et ont des intervenants communs (la réalisatrice de Trap Street, Vivian Qu, était productrice sur Black Coal).
Vivian Qu a beaucoup d’influences. Trap Street regorge de références assez évidentes qui auraient pu empiéter le propos du film, le rendre prisonnier de ses Muses, mais qui, finalement, parviennent à lui dessiner un certain charme – et aussi paradoxalement une identité. Réflexion fine et discrète autour de l’espionnage et l’observation constante en Chine contemporaine, le message de Trap Street est pourtant encore plus générale que ça – le voyeurisme n’a pas de frontières, la sensation d’être épié aucune nationalité : les nouvelles technologies ont une place prépondérante dans le film de Vivian Qu. Mais alors que le lien est dès le départ formé, elles ne sont jamais clairement citées.
De par son atmosphère assez unique, à la fois désenchantée et onirique, son parti-pris assez réaliste et ses choix de narration étouffés, Trap Street est un film intriguant – parfois inerte, souvent hermétique, mais suffisamment singulier pour étonner, déranger, interroger son spectateur. Est-ce que l’on apprécie l’expérience sur le moment ? Pas totalement, car Trap Street est un objet d’étude, une réflexion forte, un monologue sur lequel il est nécessaire de s’interroger, non pas avant, non pas pendant, mais après le visionnage.
On retiendra surtout cette fabuleuse scène finale – sans doute l’une des meilleures de l’année – symbole d’une paranoïa moderne sans cesse plus présente, sans cesse plus imprimée dans nos mœurs. Elle effraie, elle dérange, mais elle surprend encore plus lorsqu’on se prend à s’identifier au personnage principal. Car en dressant le portrait de la Chine, Vivian Qu fait écho au paradigme mondial actuel. Pas pour les mêmes raisons – ni dans le même contexte, mais cette histoire d’écoutes, de surveillance, de disparition lente mais certaine de notre intimité possède une résonnance et une justesse universelle.
Vivian Qu livre ici un film passionnant – Trap Street est déstabilisant, particulièrement quand sa facette politique fonctionne en miroir d’une époque. Pas vraiment du génie, mais une mise en scène maligne et de vraies idées de mise en scène pour une cinéaste pleine de promesses. Car si Trap Street puise son art dans ses classiques du passé, son message est plus que jamais dans l’esprit du temps. Dans le film comme dans la réalité, une trap street (rue piège), c’est une rue qui n’existe pas – ou qui n’est pas censé exister. Un homme invisible qui vous observe dans l’ombre, quoi que vous fassiez. La plus grande psychose de l'intimité.