Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde par Charles Dubois

Adi se dévoile au spectateur comme une ombre, un profil lointain dont on ne découvrira le visage que tuméfié, bleui et rougi par les coups qu'on lui aura assené.

Les traces sur son corps, il les porte comme une croix. La douleur il la porte en bandoulière, dans une forme christique qui regade l'humanité dans les yeux face à ce qu'elle peut faire de pire.


Le cinéma roumain parvient régulièrement à traduire des faits de société en films d'horreur glaçants. C'est dans le tracé de l'incontournable référence Cristian Mungiu (qui aura abordé, pêle-mêle, le racisme, l'avortement, la corruption) qu'Emanuel Pârvu semble s'inscrire, avec ce geste de cinéma fort, ce film d'une rigueur et d'une dureté presque insoutenables (on ne reviendra pas sur la terrible scène d'exorcisme), où le sussuré laisse place aux cris de souffrance et d'incompréhension, où la famille se déchire en des plans héroïques, où la société se polarise face à ses batailles démographiques comme irréconciliables (l'éternel division entre ville et campagne).


Face aux problèmes, au pluriel puisque chaque point de vue y trouvera le sien (une dette à rembourser, une "maladie" à guérir, une image sociale à ne pas abîmer, le calme d'une ville à conserver, des lois à faire appliquer, une souffrance à abandonner) chacun trouvera sa solution (la violence, la corruption, l'accord à l'amiable, le refuge dans une béatitude religieuse archaïque)


En refusant l'enquête, puisqu'il ne semble pas y avoir de crime donc aucun aveu honteux à faire, le film s'intéresse davantage aux implications qu'une histoire intime peut avoir sur une micro-société (que ce village balnéaire incarne bien), à l'influence des rumeurs, aux relations humaines qui explosent, aux réflexes virilistes qui s'expriment, aux jeux de pouvoir politiques. Et dans cette grande lutte des croyances (médecine vs. théologie) et des justices (des hommes, des lois, de Dieu), Emanuel Pârvu démontre en fait qu'aucune d'elle ne triomphe face à la fuite autonome vers un futur sans doute plus lumineux et si proche d'une victime devenue héroïque.




Charles_Dubois
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Journal cinéphile 2024

Créée

le 30 oct. 2024

Critique lue 21 fois

1 j'aime

Charles Dubois

Écrit par

Critique lue 21 fois

1

D'autres avis sur Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde

Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde
mymp
4

Petits arrangements avec la morale

On ne verra rien ce qui s’est passé, rien de cette agression dont a été victime Adi. On ne verra que son visage quand il reviendra, tard dans la nuit, à la maison de ses parents. Son visage en sang...

Par

le 23 oct. 2024

7 j'aime

4

Du même critique

Au boulot !
Charles_Dubois
7

"On prend sur soi."

Il y a au départ la petite histoire qui donne son origine cocasse au film : la rencontre, tumultueuse pour le moins, de François Ruffin avec Sarah Saldmann, chroniqueuse sans grande finesse du...

le 2 oct. 2024

18 j'aime

Les Blues Brothers
Charles_Dubois
5

Critique de Les Blues Brothers par Charles Dubois

Film emblématique d'une génération, The Blues Brothers n'a pas réussi à me convaincre. En tous cas pas totalement. Certes je n'ai pas passé un mauvais moment, j'ai même ri franchement à certains...

le 29 déc. 2015

18 j'aime