Trois Kilomètres Jusqu’à la Fin du Monde prend place dans un très beau décor, un paisible village de pêcheurs situé sur les rives du détroit du Danube. Adrian y passe ses vacances chez ses parents. Un soir, il rentre de boite de nuit le visage tuméfié et le corps couvert de bleus.
Son père l’incite à porter plainte. Tout le monde se connaît ici, l’enquête va aller vite. Adrian se laisse convaincre, espérant sans doute que ses parents le soutiendront quand la lumière sera faite sur l’incident. Car que Adrian s’est fait tabasser parce que gay.
Le film de Emanuel Parvu est la chronique d’une homophobie ordinaire. Celle d’une société qui préfère au mieux ignorer, au pire justifier la violence gratuite plutôt que d’accepter la différence de l’un des leurs.
Le réalisateur montre du doigt une partie de la Roumanie encore très rétrograde, en disséquant froidement les réactions d’une galerie de personnages très archétypaux (le père dépassé, la mère très pieuse, un curé zélé, le voisin mafieux et ses fils homophobes, la copine d’enfance – comédiens tous remarquables, avec une mention pour la mère). Devant les plans fixes de Parvu, tels les protagonistes d’un petit théâtre tragique, ils se débattent pour que l’incident reste tenu secret et ne s’ébruite pas, engoncés dans leurs croyances et leurs certitudes archaïques
La violence physique est essentiellement hors champ, hormis peut-être lors d’une choquante séance d’exorcisme. Pourtant on devine une violence plus sournoise mais pas moins dévastatrice dans les regards des villageois, dans ces phrases lourdes de sens lâchés dans les conversations. Cette violence sourde explose dans les tentatives des parents d’Adi pour le « guérir » plutôt que de l’accepter, déchirés entre le qu’en dira-t-on et l’amour qu’il porte à leur fils. C’est le fil rouge du film et son principal enjeu. Finiront-ils par l’accepter ou sont-ils prêts à le perdre ? Adi, lui n’est pas très bavard, mais les stigmates sur son visage amoché et ses regards à l’horizon parlent pour lui.
La mise en scène est rêche, ardue, elle ne fait rien pour adoucir la dureté du propos. Parvu se passe aussi de musique, ce qui renforce le poids des mots, et des silences aussi, tout comme son dispositif minimaliste qui pose sa caméra en juge et condamne.
Cette austérité rend le film peu aimable, mais son contenu et son exécution, bien que peu originaux, restent essentiels. La haine, quelle qu’elle soit, pervertit tout.