Métamorphose animale, relation amoureuse vouée à disparaître et raccordement à la nature, Tropical Malady est un film d'une complexité rare, dont les symboles renvoient à l'inéluctable et la fatalité des espèces. Quelles soient animales ou humaines, toutes les espèces sont vouées à disparaître physiquement, d'un cancer au refus de rester avec l'autre.
Emotionnellement dévastateur pour qui saura apprécier la justesse de la mise en scène, tantôt rapprochée au corps des personnages comme les réduisant à l'échelle de la bête sauvage naviguant dans des contrées étrangères (il est fait référence ici à l'armée, et l'anthropomorphisme), le film d'Apichatpong Weerasethakul évoque surtout la peur humaine de se connaître, comme de donner confiance.
Si la romance entre le militaire et paysan est chaleureuse dans la première partie du long-métrage, elle ne pourra pas aboutir, à l'occasion d'une gêne ressentie par le regard des aînés comme du sens de l'engagement. En voyageant dans la forêt, et même si le deuxième segment du film pourrait être analysé indépendamment de l'autre voire comme le passé du personnage principal; Keng voit le tigre, et saisit le regard de l'homme qu'il aimait.
En se métamorphosant, en homme-animal puis en tigre, l'être humain semble être perçu comme pris par la peur, ou l'exaltation des possibilités. Puisque si Keng ne souhaite pas rejoindre son amant, c'est bien parce qu'il sait qu'il ne pourra pas retrouver son identité physique, tel l'éléphant aperçu en fin de film, se dirigeant vers la forêt. Pourtant, cette spirale mystique couverte par le gigantesque arbre pose la question de la réincarnation comme dépassement de sa condition.
En perdant toute notion d'espace-temps, Keng regarde le tigre comme s'il regardait sa mère, son père, ceux qu'il a aimé, autrement dit, il ne rejoint plus seulement l'amant perdu mais l'Amour de sa vie. Le regard du tigre devrait inspirer violence, comme le soldat exécutant les ordres, et pourtant, il renvoie ici à la compassion.
Il n'y a pas d'identité précise, comme d'âge ou espèce pour que la vie puisse se succéder, c'est un ensemble qui se renouvelle et se métamorphose, comme de l'or ou argent devenus crapauds. Le lien spirituel, comme affectif devrait dépasser toute forme de barrière sociale. Weerasethakul évoquait d'ailleurs dans une interview qu'il était peu fréquent de voir deux jeunes garçons se tenir la main et être aussi proches en Thaïlande. On retrouve également cette même logique pour la construction sonore du film, alternant entre de douces chansons thaïlandaises, et le bruit des oiseaux recouverts par les bruits environnants de circulation. Paradoxalement, le silence n'est jamais aussi présent dans la forêt, le personnage attentif au moindre bruit : et le dialogue n'est plus des mêmes, le personnage ne communiquant plus seulement avec un interlocuteur, mais également avec l'esprit de la Nature.
Il s'agit bien évidemment, d'une lettre d'amour à la vie que livrait déjà le cinéaste thaïlandais, une vie se devant d'être vécue sans limite(s).
"Nous sommes tous par nature, des bêtes sauvages. Notre devoir d'être humain est de devenir comme ces dompteurs, qui tiennent leurs animaux sous leur coupe, et les dressent même à faire des tours contraires à leur nature bestiale" (Ton Nakajima).