CRITIQUE DU COMPTE DE TRASHDISTANCE, JE N'AI PLUS MES ACCES.


« Tout se paie dans ce monde, d'une façon ou d'une autre. Rien n'est gratuit. » Dans un monde où la criminalité, l'injustice et la partialité siègent depuis des siècles en souverains sanguinaires et assoiffés de violence, il nous serait impossible aujourd'hui de concevoir une humanité sans faille, à l'abri des balles. Chacun devra un jour assumer les conséquences de ses actes. Après un "A Serious Man" à l'univers bien étrange, nous transportant indirectement dans l'intimité des Frères Coen, Joel et Ethan de leurs prénoms, leur plus récente composition, True Grit, « le vrai courage » sorti en 2010, nous invite à gamberger au sujet du térébrant passage entre l'enfance et l'adolescence, à discerner l'essence même de la vengeance.


L'action débute à Fort Smith (Arkansas) juste après la guerre de Sécession, dans les années 1870, dans les contrées lointaines de l'Ouest Américain. Une jeune fille de quatorze ans prénommée Mattie Ross décide de partir à la recherche de Tom Chaney, l'assassin lâche et sans scrupule de son père. Elle sollicite l'aide du shérif, qui lui suggère alors d'implorer l'aide du Marshall Cogburn, ivrogne borgne à l'allure boueuse, négligée. « On m'a dit que vous aviez du cran, c'est pour ça que j'ai fait appel à vous » déclare l'orpheline de père. Indécis et agaçant à première vue, il ne sait choisir entre le respect de la loi et l'abus de celle-ci. Mais il acceptera tout de même l'offre de 50 dollars que lui propose la jeune Mattie aux couettes élaborées en échange d'une aide honnête. Cette petite a du courage à revendre. Elle sait pertinemment qu'elle devra redoubler de « cran » pour affronter le territoire indien et les gâchettes. La fille Ross connaît les mécanismes de la négociation, sait monter à cheval, bref, c'est une féministe avant l'heure. Elle est seule, contre ces cowboys tordus sans éthique.


Elle troque sa robe sans crinoline contre le pantalon, le pardessus, ainsi que le manteau de son père, elle part à l'aventure. Elle fera également de nombreuses rencontres, s'alliera avec un Texas Ranger charismatique mais têtu qui souhaite aussi la tête de Chaney, et affrontera un gang de malfrats ressemblant plutôt à une troupe de cirque qui, au lieu de tirer sans réserve sur des innocents, ce que ferait tout méchant cowboy qui se respecte, jonglent avec les munitions au milieu d'une plaine hostile, dont les couleurs saturées contrastent avec les vêtements ternes allant du vert kaki au marron des protagonistes. Les costumes confectionnés par Mary Zophres (qui a déjà travaillé avec les frères Coen sur la plupart de leurs films) sont minutieusement travaillés. Les dialogues spécifiques à l'époque et l'humour cinglant des personnages leur ajoutent de la singularité. Ils sont uniques, mêmes les personnages secondaires sont étudiés, ne peuvent être négligés ; c'est ce qui caractérise les films des frères Coen. Les accents sont très importants, on comprend ainsi la valeur inestimable de la VO. La Version Française nous fait perdre cette originalité, ce travail remarquable des réalisateurs. Nous admirons les performances d'Hailee Steinfeld, novice du grand écran (True Grit était son premier film), de Jeff Bridges, talentueux dans le rôle d'un Marshall Cogburn grinçant. (Il avait par ailleurs déjà joué pour les frères Coen, dans The Big Lebowski), ainsi que de Matt Damon, imitant l'accent texan à la perfection. La diversité des caractères met en relief une anarchie chaotique d'une Amérique touchée par la guerre à la fin du XIXème siècle. Alors que les adultes agissent comme de véritables enfants et prennent leurs fusils pour des jouets, Mattie, quant à elle, fait preuve de maturité, et n'hésite pas à aller à l'encontre des décisions. La relation qu'elle entretient avec le Marshall Cogburn évolue au fil du scénario. Cogburn joue alors le rôle d'un père de substitution pour Mattie, qui n'est peut-être pas qu'une « gamine entêtée ».


Alors que Martin Scorsese a récemment renversé la balance en s'essayant à un autre genre, celui du film pour enfants, avec Hugo Cabret, les Frères Coen ont aussi signé leur premier western, un bijou sous-estimé du nom de True Grit. Il nous rappelle qu'un monde n'a rien d'une entité, mais correspond à un groupe d'individus collaborant à l'unisson, utilisant leurs capacités individuelles en vue d'un même but. Le film reste très humain, on en oublie même la trame principale (à savoir Mattie qui cherche Chaney pour le tuer). True Grit reste un long-métrage captivant, aux paysages déroutants, revenant sur les prémices d'un pays aujourd'hui vide et dénué d'exotisme, nous décrivant le portrait d'une fillette au caractère bien trempé, atypique mais remplie d'audace. Nous pouvons établir la même conclusion concernant True Grit. Les Frères Coen en gardent encore sous le sabot.

pipissenlit
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le 20 déc. 2021

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