Il y a quelque années, Mel Gibson, l'ancienne méga-star que tout Hollywood s'arrachait autrefois, était devenu un véritable paria suite à ses problèmes d'alcool et à des déclarations antisémites intempestives. La polémique autour de son film, "La Passion du Christ", et de son point de vue également vu par beaucoup comme férocement antisémite avait d'ailleurs donné du grain à moudre à ses détracteurs en la matière... Le Riggs de "L'Arme Fatale" et le seul vrai Max de la saga "Mad Max" était considéré comme fini, totalement infréquentable, voué aux gémonies de l'opinion publique. Mais parfois, même les personnalités publiques nous offrent des exemples d'une possible rédemption, et c'est bien la route sur laquelle l'Australien, autrefois élu "homme le plus sexy du monde", fait son bonhomme de chemin depuis un certain temps.
Après une longue cure de désintoxication et un mea-culpa concernant ses débordements, accompagnés d'une véritable et sincère réconciliation avec la communauté juive, Gibson a petit à petit reçu le soutien de quelques amis fidèles considérant qu'il méritait une seconde chance. Ce fut notamment le cas avec Sylvester Stallone, qui lui donna un rôle dans Expendables 3, alors que peu étaient prêts à le faire tourner, ou plus récemment en 2016 avec le réalisateur Jean-François Richet, qui lui donna un rôle touchant dans son film "Blood Father".
L'année 2016 voit aussi son retour derrière la caméra, dix ans après Apocalypto, et raconte l'histoire vraie de Desmond Doss (interprété par Andrew Garfield, déjà vu notamment dans "Boy A", ou encore dans "L'Imaginarium du Docteur Parnassius"), jeune homme de l'Amérique profonde des années 40, qui malgré son inébranlable foi dans le Sixième Commandement (Tu ne tueras point, le titre du film), s'engage dans l'armée pour participer à l'effort de guerre contre les forces de l'Axe. Mais le jeune Doss met un point d'honneur à ne jamais mettre une vie en danger, au point qu'il refuse même de toucher un fusil, ce qui ne manque pas d'attirer les foudres de ses supérieurs ainsi que les quolibets et le mépris de ses camarades de régiment. Ce que veut Doss, c'est au contraire protéger la vie, devenir infirmier et soigner ses camarades sur le champ de bataille, quitte à mettre la sienne en danger sans jamais se défendre.
C'est là un engagement particulier, que tout le monde n'est pas à même de comprendre ou d'approuver, mais qui vaut par la force de conviction de celui qui le porte, et sa volonté d'assumer toutes les conséquences éventuelles de ce principe absolu. Et on peut dire qu'Andrew Garfield défend ce rôle à merveille, de toute son âme, avec un jeu tout en finesse, donnant vie à un personnage attachant et émouvant, à mille lieues d'une arrogance dans laquelle il eût été facile de tomber.
La réalisation de Mel Gibson, quant-à elle, est tout aussi maîtrisée. Tout d'abord, la façon dont il dépeint l'époque où se déroule l'action est tout ce qu'il y a de plus immersif, avec le charme suranné de l'Amérique des 40's souligné par une belle gestion de la lumière et de la colorimétrie, puis dans un second temps avec une mise en scène du camp d'entraînement militaire dans laquelle on relève avec plaisir quelques références à d'autres films ayant traité du sujet (comme par exemple Full Metal Jacket), et où on retrouve avec amusement Vince Vaughn dans le rôle du Sergent instructeur.
Enfin, Gibson et ses personnages entrent de plein fouet dans le vif du sujet avec une bataille d'Okinawa ultra-violente et réaliste, qui cloue littéralement le spectateur à son fauteuil. Même sans 3D, on a vraiment l'impression d'être sur place, de sentir les balles nous frôler les tempes, la sueur froide couler le long de l'échine de ces jeunes soldats jetés avec une terrible brutalité dans un enfer auquel aucun entraînement n'a pu vraiment les préparer, de distinguer l'odeur de poudre des grenades et des obus qui explosent...
Le réalisateur maîtrise également à merveille dans cette partie du film une rythmique révélant les personnalités de ses héros ou anti-héros, dosant savamment action, réflexion et émotion.
Que l'on soit d'accord ou non avec les convictions religieuses de Doss (et implicitement avec celles de Gibson qui signe là un vibrant plaidoyer pour la non-violence), on ne peut qu'être sincèrement touchés par le parcours de ce jeune homme dont on sait qu'il a vraiment vécu tout ce qui se déroule sur l'écran, et qui fait preuve d'un courage et d'une abnégation proprement désarmants. C'est là l'une des plus grandes forces du film.
Autre atout, et pas des moindres, Hugo Weaving (l'Agent Smith dans "Matrix", ou encore Elrond dans "Le Seigneur des Anneaux") livre une bluffante interprétation de Tom Doss, le père de Desmond, vétéran de la Première Guerre traumatisé et totalement brisé par son expérience des champs de bataille, et qui a les plus grandes difficultés à être simplement un père et un mari, et dont les démons participent grandement à la construction du caractère de son fils. Digne d'un Oscar du meilleur second rôle à mon sens!
Je ne reprocherai à Gibson que de s'étendre un peu trop à mon goût sur la seconde partie du film, dans laquelle un petit "ventre mou" fait durer un suspense un brin inutile compte tenu du fait qu'on sait pertinemment en allant voir le film comment cette partie va se conclure. Mais c'est là une faiblesse assez mineure dans un film qui dans son ensemble tient plus que largement la route, et au terme duquel j'ai pu entendre les spectateurs applaudir alors qu'aucun membre de l'équipe de tournage n'était présent pour recevoir cet hommage.
Un film fort, émouvant et édifiant. A voir!