Qu'on l'aime ou qu'on le déteste, on est obligé de reconnaître que Mel Gibson est un vrai auteur. Tiraillé depuis des années par deux obsessions contraires, il a fait de sa filmographie son chemin de croix. Que ce soit au travers de Braveheart, La Passion du Christ, Apocalypto et, aujourd'hui, Tu ne Tueras Point, Gibson n'aborde que deux sujets : la foi et l'ultra violence. Loin de faire un choix entre ces deux thèmes à première vue opposés, il choisit à chaque fois de les magnifier. L'on sent chez l'homme une vrai « conviction » quand il aborde chacune de ces thématiques. Ce paradoxe qui le poursuit même dans sa vie privée, et l'a mis au banc d'Hollywood pendant 10 ans, fait de lui un des cinéastes les plus sincères du système. À la fois ange et démon, il a créé de cette ambiguïté une véritable cohérence dans son œuvre. En traitant l'histoire vraie de Desmond Doss, un objecteur de conscience qui fut un des plus grand héros de la seconde guerre mondial, sans avoir jamais tenu une arme entre ces mains, il tenait vraiment un sujet en or.
Même si le film est vraiment excessif, comme Gibson peut l'être, je dois bien reconnaître qu'il m'a retourné à bien des niveaux. Bien entendu Gibson ne fait jamais dans la dentelle ! Quand il s'agit de parler de sa foi, l'on sent un discours, un frontal pas forcément subtil. À l'opposé, il filme des scènes de guerre d'une violence tout simplement inédite à l'écran. Le débarquement d'Il Faut Sauver le Soldat Ryan ressemble à une partie de plaisir en comparaison à la prise d'Hacksaw Ridge. Alors qu'il avait su canaliser ses excès dans Apocalypto (son meilleur film à l'heure actuel), Gibson ne cherche absolument plus à se limiter dans Tu ne Tueras Point. Ceux qui espèrent assister à un discours pacifique et poétique sur fond de seconde guerre mondiale, comme l'avait magnifiquement fait Terrence Malick au travers de Le Ligne Rouge, en auront pour leurs frais ; Gibson abordant avec autant d'amour son discours sur la valeur de la vie humaine et l'explosion de violence dont l'homme peut faire preuve. À la limite de la schizophrénie, son discours est traité de manière très hollywoodienne (dans le sens le plus noble du terme).
Comme dans les grands films américains, c'est clairement dans sa recherche des émotions simples et primaires que le film fait mouche. Que ce soit via son histoire d'amour d'une rare pureté ou dans sa manière de magnifier ces héros de guerre, le film à un côté suranné. Attention, ce n'est absolument pas une critique, c'est même une des grandes forces du film. À une époque où le cynisme est un art de vivre, une telle sincérité fait un bien fou ! Que ce soit au travers d'un des plus beau premier baisé vu depuis longtemps sur grand écran ou l'horreur des champs de bataille, l'on est véritablement retourné.
Car c'est bien ça qui fait de Tu ne Tueras Point un grand film ! Il nous prend aux tripes comme rarement ! Choqué, et parfois à la limite de la nausée, les scènes de guerre m’ont retourné ! En les alternant avec des scènes d'une puissance émotionnelle rare, le film fait systématiquement mouche. Je dois bien reconnaître que j'ai dû retenir mes larmes sur la fin ... Je dois également mentionner la prestation assez hallucinante d'Andrew Garfield ! Il trouve ici ce qui sera certainement le rôle de sa vie. J'avais vraiment un énorme a priori car il s'agit d'un acteur dont je n'apprécie pas forcément le jeu, mais en le filmant comme un nouveau messie, Gibson l'a sublimé ! Magnifiquement entouré par un casting aussi improbable que réussi (Vince Vaughn et Sam Worthington à contre-emploi), Garfield bouffe littéralement l'écran et est, comme son personnage, lumineux ! Grand film sur l'homme et son paradoxe entre sa nature violente et son envie de s'élever et de faire le bien, Tu ne Tueras Point m'a rappelé à quel point un artiste ne doit pas être jugé sur sa vie privée mais bien sur ses œuvres. Et à ce niveau, je n'ai qu'une chose à dire : « Mel, tu m'as manqué ... ».
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