Critique donnant des indications sur la conclusion de l'intrigue.
Tueur à gages de Frank Tuttle, film noir relativement court, est une course-poursuite géante menée tambour battant avec la grande qualité de n'avoir pratiquement aucun temps mort, et de mettre le paquet sur les morceaux de bravoure de son duo charismatique. Mené par la femme fatale Veronica Blake et le torturé Alan Ladd qui trouvait ici l'un des premiers rôles marquants de sa carrière, il s'intéresse à l'évolution de leur relation conflictuelle vouée à se changer en respect mutuel.
Jamais trop manichéen, Tueur à gages dépeint un tableau convaincant de ses personnages, n'en présentant jamais de trop gentils ou de trop méchants : Ladd, personnage principal, hésite constamment entre bien et mal; de même pour ses employeurs, qui voulaient se débarrasser d'un poids à payer sans avoir forcément de haine à son égard. Tout s'y passe sans véritable ressenti, à l'excepté de la mise en place du plan de vengeance, terrible intrigue qui conduira forcément à cette conclusion dramatique.
On sait dès le début qu'on suit un film qui a pour vocation de mener à la mort : c'est inscrit dans le métier même du héro, et dans la gueule de ses clients. Tout chez lui, de son imper à son chapeau, de son flingue à sa gueule d'ange désabusée, transpirent le destin tragique; un personnage qui tempère donc avec la beauté superficielle de Lake, non pas posée comme femme en détresse, véritable actrice de cette poursuite impitoyable.
Complètement étrangère au syndrome de Stockholm qu'on aurait pu craindre, elle sert principalement à révéler au spectateur les raisons du choix de vie de Ladd, dit Philip Raven, et de mettre en exergue la difficulté de son existence, de ses premiers à ses derniers pas, afin qu'on puisse, l'instant venu, ressentir quelconque émotion ou craindre pour la vie de ce duo fonctionnel puisque disparate.
Véritable élément moteur du scénario, elle permet autant à l'intrigue d'avancer qu'à Raven de se venger, usant de son intuition féminine pour le laisser filer au moment propice. Indirectement coupable des meurtres qui suivront, elle prend ses responsabilités en main en restant ironiquement, aux yeux des policiers désireux de la sauver, la princesse en détresse enlevée par un forcené : les choses changeront au dernier plan, certes attendu mais pas prévisible, déchéance totale et terrible. En un cri, Frank Tuttle rend hommage à son personnage principal et prouve, malgré ses meurtres et sa vengeance éphémère, que son oeuvre n'aura pas servi à rien.
Malgré ses qualités certaines, on ne peut malheureusement passer outre le fait que Tueur à gages, tout aussi court et intense soit-il, souffre d'un classicisme trop important : respectueux des codes précis du film noir des années 40, il ouvre son film et le conclu de façon classique, le déroule en bon suiveur de codes : la femme à sauver, le tueur impitoyable avec une âme tourmentée, les méchants prestataires qu'il faudra punir dignement arrivée la scène d'échéance, le flic héroïque dépassé par le talent de sa cible, même sa mise en scène un peu trop propre et carrée.
C'est dans le développement de la psychologie des personnages qu'il parvient à s'en sortir, offrant une vision intimiste et désastreuse des vies sacrifiées au nom de ceux qui tuent par (et pour) l'argent. Chouette version romancée de l'univers du meurtre commercialisé, Tueur à gages, s'il n'est pas le film de la décennie, trouve aisément sa place dans le paysage des films noirs de qualité de son époque.
Une belle oeuvre qui se conclue dignement.