Ha je ne m'attendais pas vraiment à ça quand je pensais à un "film Twin Peaks", même en sachant qu'il allait être question des tragiques derniers jours de Laura Palmer. On verse ici véritablement dans l'horreur et la tragédie, un des films qui m'a le plus dérangé et mis mal à l'aise.
Même si c'était beau, toutes mes attentes n'ont pas été cochées… Oui elles étaient sûrement encore trop hautes. L'introduction est une bonne idée pour amener le spectateur sur une fausse piste, elle m'a quand même laissé un petit goût d'inachevé, ou de vacuité. Quand on arrive sur le cœur du film, la partie Laura Palmer, heureusement tout se goupille un peu mieux. Simplement ce qui m'a dérangé c'est que la quasi totalité des événements montrés dans le métrage, on l'avait deviné ou c'était expliqué via la série. Les motivations du tueur, la manière de représenter Bob, et même grosso modo tout ce qui a amené Laura vers son destin tragique. C'est évidemment jouissif de voir illustré à l'écran tout ce qu'on nous a sous-entendu et tout ce qu'on a été amené à imaginer en sous-texte pendant deux saisons, mais quitte à utiliser des éléments qui nous sont déjà acquis, il y avait peut être moyen de construire quelque chose d'un peu plus riche par dessus. Oui, je suis obsédé par l'Antigone d'Anouilh qui se jouait du fait que l'on connaissait déjà l'histoire pour nous faire croire que les personnages allaient réussir à sortir de leurs rôles, se dégager de la place que le destin leur avait réservée et remettre en question les choses. Il y aurait eu une carte à jouer de ce style je trouve, pour donner une valeur ajoutée à ce point de départ d'enquête qu'on avait tenté de nous embrumer.
Il n'empêche que, comme souvent dans la série, il se dégage de ce film des scènes à la puissance folle, je pense à deux notamment qui m'ont littéralement donné le frisson. Ce genre de scènes où tout se rencontre, la musique, la mise en scène, le jeu des acteurs, la place dans le récit, pour transmettre une émotion d'une sincérité et d'une pureté totale.
Je pense ici à la scène de la Pink Room et la scène finale, du meurtre de Laura.
La première est d'une intelligence folle, où plus que jamais la réalité débauchée flirte avec le rêve, la musique enivrante au mixage son étouffant amène à une impossibilité de comprendre clairement ce que les personnages se disent. Sous-titré et étrangement inaudible, comme dans les géniales séquences de la Black Lodge de la série qui m'avaient déjà marquées à fond sur ce point. C'est vrai que, dans nos rêves, quand des gens nous parlent on comprend ce qu'ils disent mais on ne les entend pas vraiment, particulièrement une fois réveillé on se rend compte du côté "inexistant" de ces discussions et ces séquences arrivaient à très bien rendre ce sentiment je trouve. La lumière incroyable, érotiquement chaleureuse mais aux spasmes de luminosité montrant bien son aspect fondamentalement dérangeant. La réaction de Laura lorsqu'elle voit l'état dans lequel Donna est, et pète un câble en y voyant indirectement le reflet de sa propre situation. Du pur caviar.
Et la scène de meurtre, il fallait que ce soit iconique, ça n'a pas loupé. Ces contreplongées éclatées au sol (littéralement), le sound-design encore une fois, ces plans stroboscopiques beaux à pleurer et la musique qui s'envole vers des tons mystiques / choraux jamais entendus après 30 épisodes de Badalamenti de qualité mais qui tournait en boucle comme des thèmes de jeux vidéos. Énorme frisson, sans parler de la scène suivante juste avant les crédits ou encore une fois musique (The Voice of Love), acteurs, mise en scène, émotion et décors, tout se goupille pour donner une pureté parmi les plus éclatantes du cinéma. D'ailleurs personnellement je n'aurai fait revenir Cooper que pour cette scène. Avoir un long-métrage Twin Peaks entier sans lui aurait été encore plus impactant je pense, surtout pour le rôle qu'il a dans l'intro qui relève vraiment de la figuration…
Je trouve que le film n'est pas exempt de points et de scènes perfectibles pour obtenir la conclusion cinématographique atomique que Twin Peaks méritait. Peut être insister encore plus sur le symbolisme (le fameux Fire Walk With Me notamment), le côté déjà écrit de cette tragédie, atteindre une apogée dans l'iconisation ou un petit je ne sais quoi. Il n'empêche que ce métrage a largement de quoi donner le frisson, c'est juste dommage que, comme dans la série, le panache ne soit atteint que par touches, plutôt que de bout en bout. Twin Peaks fut malgré tout un magnifique voyage, qui laisse des souvenirs indélébiles. Prenez soin de vous.